
De l'unification du Nord et du Sud du Yémen en 1990 à la guerre contre la coalition menée par l'Arabie saoudite ces dernières années, le destin d'Ali Abdallah Saleh aura été intimement lié à celui du Yémen.
L'ex-président yéménite Ali Abdallah Saleh, dont la mort a été annoncée, lundi 4 novembre, était un redoutable tacticien ayant présidé le Yémen pendant trente-trois ans et qui avait tenté inlassablement de prendre sa revanche depuis son éviction du pouvoir en 2012.
Sa dernière alliance lui a toutefois été fatale. Scellée en 2014 avec les rebelles Houthis, elle visait à saper l'autorité de son successeur, Abd Rabbo Mansour Hadi, qui s'est vu contraint de fuir le Yémen pour se réfugier en Arabie saoudite.
Ironie de l'histoire, Ali Abdallah Saleh, 75 ans, membre de la minorité zaïdite de laquelle sont issus les Houthis, avait combattu ces derniers pendant plus de six ans, de 2004 à 2010, lorsqu'il était président.
La prise de la capitale Sanaa en septembre 2014 et les avancées ultérieures des Houthis dans le reste du Yémen n'auraient pas été possibles sans la participation active d'unités militaires restées fidèles à Ali Abdallah Saleh, qui disposait en outre de puissants relais dans l'administration, estiment des experts.
Mais, après trois ans de coopération, ses partisans et les Houthis ont ouvert de violentes hostilités la semaine dernière dans la capitale. La crise pour le contrôle des finances et le partage du pouvoir, aggravée par des soupçons de contacts secrets entre l'ex-président et Riyad, est à l'origine du conflit.
Dans un coup de théâtre, Ali Abdallah Saleh s'était dit prêt, le 2 décembre, à ouvrir "une nouvelle page" avec les Saoudiens, qui étaient devenus ses ennemis ces dernières années en intervenant depuis 2015 au Yémen à la tête d'une coalition militaire arabe pour soutenir le président Hadi contre les rebelles. Les combats se sont alors intensifiés entre les pro-Saleh et les Houthis. Ces derniers ont déclaré lundi que l'ex-président avait été tué.
Un instinct de survie politique légendaire
Véritable "survivant", Ali Abdallah Saleh a traversé une à une toutes les épreuves ayant émaillé ses années à la tête d'un pays instable, aux structures tribales et souvent violent.
Pendant la guerre, l'ex-président n'avait pas bougé de la région de Sanaa, se déplaçant discrètement d'un endroit à un autre et assurant sa propre sécurité, affirmait un expert en 2016. "Il n'a confiance en personne". "Je ne quitterai jamais Sanaa", avait-il dit.
L'instinct de survie politique de l’ex-président Saleh était légendaire. Il a régné longtemps en comparant l'exercice du pouvoir au Yémen à une "danse sur la tête de serpents". Militaire de carrière ayant gravi tous les échelons, il a été élu président du Yémen du Nord en 1978 et fut l'un des artisans en 1990 de l'unification avec le sud, longtemps socialiste.
Un document déclassifié de la CIA datant du 18 juin 1990 affirme que, même si l'union entre le nord et le sud du Yémen échouait, "Saleh conservera[it] probablement son emprise sur le pouvoir".
En 1994, il a écrasé une tentative de sécession sudiste. Puis, en 2011, il avait été grièvement blessé lors d'un mystérieux attentat dans son palais, l’obligeant à passer plusieurs mois en Arabie saoudite pour y être soigné. Mais sa longévité exceptionnelle a pris fin en février 2012, lorsqu'il céda le pouvoir à contrecœur au vice-président Hadi, après une année de contestation populaire, dans le sillage du Printemps arabe.
Dans l'accord ayant permis son départ et élaboré difficilement par les monarchies arabes du Golfe, Ali Abdallah Saleh a joui de l'immunité pour sa personne et les membres de sa famille. L'ex-président a refusé de s'exiler et est resté à la tête de son parti, le Congrès populaire général (CPG), auquel appartient aussi son successeur.
Un homme de plus en plus autoritaire, un "tyran"
Selon Laurent Bonnefoy, chercheur CNRS au Ceri/Sciences Po à Paris, Ali Abdallah Saleh, qui est père de quatorze enfants (cinq garçons et neuf filles) avait notamment pour objectif "de préserver sa capacité de nuisance et son pouvoir, en particulier la possibilité pour son fils Ahmed Ali, résidant aux Émirats arabes unis, d'émerger en tant qu'alternative politique".
Trapu, regard perçant et moustache fine, l’ancien président yéménite a été un partenaire très proche des États-Unis dans la lutte contre Al-Qaïda dans la Péninsule arabique (Aqpa), considérée par Washington comme la branche la plus dangereuse du réseau jihadiste.
Des câbles diplomatiques publiés par WikiLeaks ont révélé un homme de plus en plus autoritaire. Un conseiller du président Hadi qualifiait ainsi Ali Abdallah Saleh de "tyran". Les Houthis "sont des marionnettes aux mains de Saleh, qu'il utilise comme il utilise Al-Qaïda", avait affirmé ce conseiller, Yassine Makkawi.
Un rapport d'experts remis en février 2015 au Conseil de sécurité de l'ONU a par ailleurs affirmé que Saleh avait accumulé, grâce à la corruption, une fortune estimée entre 32 et 60 milliards de dollars, alors que le Yémen est l'un des pays les plus pauvres du monde arabe. Il faisait l'objet de sanctions ciblées des Nations unies (gel d'avoirs et interdiction de voyage).
Avec AFP