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La nouvelle menace nord-coréenne en quatre questions

La Corée du Nord a procédé mercredi au test d’un nouveau tir de missile balistique. Doit-on prendre les menaces de Pyongyang au sérieux ? Quatre questions pour comprendre les enjeux qui opposent Pyongyang à Washington.

La Corée du Nord a de nouveau défié les États-Unis. Pyongyang a testé "avec succès", mercredi 29 novembre, un nouveau type de missile balistique intercontinental (ICBM), le Hwasong-15. Selon le régime de Kim Jong-un, ce projectile pourrait frapper les États-Unis à n’importe quel endroit. Quatre questions pour comprendre.

• En quoi ce tir est-il différent des précédents ?

"Il est différent pour des raisons exclusivement techniques, explique à France 24 Olivier Gaillard, directeur de la recherche Asie à l'Iris. Il s’agit du tir de missile le plus long, le plus haut, et le plus abouti jamais réalisé jusqu’à présent par Pyongyang. Ce nouveau type de missile plus performant est désormais capable d’atteindre la totalité du territoire américain."

Selon David Wright, expert et codirecteur de l'Union of Concerned Scientists, l'engin se serait élevé à plus de 4 500 km d'altitude, ce qui lui donnerait un immense rayon d'action. "Si ces chiffres sont corrects, en volant sur une trajectoire normale et pas sur une trajectoire en cloche, ce missile pourrait avoir une portée de plus 13 000 km", estime le scientifique sur le blog de son organisation.

Cette nouvelle performance marque donc une augmentation rapide et spectaculaire des capacités du régime de Kim Jong-un. "Des progrès qui restent toutefois à relativiser, car ce nouveau missile demeure une technologie que les grandes puissances nucléaires occidentales maîtrisent depuis les années 1950, 1960", nuance Olivier Gaillard, auteur de "L'impasse afghane aux errances nord-coréennes".

• Comment la Corée du Nord est-elle parvenue à de tels progrès ?

"Le régime de Pyongyang a soumis les équipes de scientifiques chargées de travailler sur ces missiles à une obligation de résultat absolue, souligne Olivier Gaillard. Le pays, qui dispose d’un faible PIB, parvient malgré tout à dégager un important budget pour ses ambitions militaires. Les progrès réalisés sont remarquables pour un régime aussi fermé."

Mais l’isolement de Pyongyang n’est qu’une façade. Derrière ses hauts murs, la dictature "bénéficie incontestablement d’aides extérieures pour réaliser de tels progrès", précise l’expert.

Pyongyang peut compter sur le soutien économique de Pékin, fidèle allié communiste qui avance main dans la main avec le régime de Kim Jong-un depuis la guerre de Corée (1950-1953). Les deux régimes communistes partagent plus qu'une frontière de 1 400 km : en 2016, 90 % des échanges économiques de la Corée du Nord se sont effectués avec la Chine. Selon l'ONU, la Corée du Nord aurait par ailleurs entre 50 et 100 000 travailleurs détachés, installés essentiellement en Chine, qui permettraient à Pyongyang de disposer de plus de 1,5 milliard de dollars par an.

La fabrication de missiles balistiques de longue portée exige par ailleurs la fabrication ou l’acquisition de dizaines de milliers de composants de toute nature. Nombre d'experts s'accordent à dire que la Corée du Nord s’est donc adressée à toutes les sociétés productrices des éléments dont elle avait besoin, y compris de nombreuses sociétés occidentales peu regardantes sur l’identité réelle des acheteurs.

• Les États-Unis disposent-ils d’une défense capable d’intercepter ces missiles ?

Pour les États-Unis, il s'agit d'un nouveau défi lancé à leurs capacités de défense antimissile pour protéger le territoire américain et celui de leurs alliés. Washington et ses partenaires possèdent une gamme de technologies très développées, capables de les protéger des missiles balistiques. Les États-Unis ont d’ailleurs dépensé des milliards de dollars dans ce domaine, mais aucune défense n'est complètement infaillible à ce jour. "Le nouveau tir contrarie les Américains, car le système anti-missile qu’ils ont mis au point par le passé pour répondre à une éventuelle menace soviétique ou russe nécessite de procéder à des ajustements", croit savoir Olivier Gaillard, le responsable de l’Iris.

Face aux missiles intercontinentaux, ils disposent du système GMD (Ground-based Midcourse Defense), en Alaska et en Californie. Cet élément-clé de la défense antimissile américaine a été testé avec succès en mai en Californie, mais il avait eu des performances plus mitigées auparavant et pourrait être débordé en cas de tir de missiles en rafale.

Outre le système GMD, les États-Unis et ses alliés ont aussi à leur disposition le système AEGIS, pour Aegis Ballistic Defense System. Il s'agit d'un dispositif embarqué sur des navires comprenant des radars et des capteurs extrêmement sensibles qui fournit des informations aux systèmes contre les missiles intercontinentaux GMD en Alaska et en Californie. Mais AEGIS a également sa propre capacité à intercepter des missiles de plus courte portée. Certains experts estiment qu'AEGIS pourrait avoir un jour la capacité d'intercepter dans certaines circonstances des missiles intercontinentaux.

Incroyable infographie dynamique de Bloomberg sur l'interception d'un missile nord-coréen par les Etats-Unis >> https://t.co/rgiG5AG9aj pic.twitter.com/XBgafbhxnS

  Etienne Goetz (@etiennegoetz) 8 septembre 2017

Les États-Unis ont également commencé à déployer en Corée du Sud des systèmes THAAD (Terminal High Altitude Area Defense), capables de détruire des missiles de portées courtes, moyennes et intermédiaires dans la phase finale de leur vol. Ce déploiement avait d’ailleurs suscité le mécontentement de la Chine, qui y voit un facteur de déstabilisation de la péninsule coréenne.

Les Américains aux côtés de la Corée du Sud et du Japon peuvent aussi compter sur des batteries de missiles Patriot Advanced Capability-3. Ils sont surtout destinés à affronter des menaces régionales et auraient des effets limités face à des tirs intercontinentaux. En Europe, les alliés des États-Unis possèdent également des systèmes antimissiles, mais ils sont concentrés sur la menace d'armes de courte portée venant potentiellement de Russie ou du Moyen-Orient.

• Que doit-on craindre ?

À court terme, "ce nouveau tir met à mal toutes les tentatives de décrispation des grandes diplomaties dans la région qui en avait pourtant bien besoin", analyse Olivier Gaillard. Ce tir intervient huit jours après la décision de Washington de réinscrire la Corée du Nord sur la liste noire des "États soutenant le terrorisme", un geste qualifié de grave provocation par Pyongyang.

"D’un point de vue sécuritaire, c’est une mauvaise nouvelle pour tout le monde, car on peut craindre une réponse des États-Unis, il serait étonnant qu’ils restent sans réagir", poursuit le spécialiste de l’Asie.

On peut donc craindre une escalade diplomatique. Pour le reste, l’auteur de "L'impasse afghane aux errances nord-coréennes", invite à la plus grande prudence : pour lui, "nous ne sommes pas à l’avant-veille d’un conflit."