Les élèves catalans sont-ils victimes d'endoctrinement à moins d'un mois des élections régionales anticipées ? De plus en plus de voix se font entendre pour dénoncer le discours nationaliste de certains professeurs dans les écoles catalanes.
Au lendemain du référendum d’autodétermination de la Catalogne le 1er octobre, le comportement de plusieurs enseignants catalans ont interpellé des parents d’élèves. Une enseignante du collège de la ville de Montserrat, près de Barcelone, a listé les élèves dont les parents n’avaient pas participé au scrutin en leur disant qu’ils avaient "mal agi" ; des enfants de 3 ans dans une école de Rosas, sur la Costa Brava, ont dû observer une minute de silence en hommage aux policiers blessés, lors de la journée de vote ; des élèves de maternelle et primaire à Gérone apprennent à chanter "Indépendance" avec leur professeur.
Ces exemples recensés par le très minoritaire syndicat de professeurs Action pour l'amélioration de l'enseignement secondaire (AMES), qui dénonce la propagande indépendantiste catalane diffusée dans les établissements scolaires de la région. "C’est particulièrement grave quand l’enfant est petit car il n'a pas la capacité de différencier ce qu'est l'opinion d'une personne de ce que sont réellement les choses, s’inquiète auprès de France 24 Antonio Jimeno, professeur à la retraite et dirigeant de l’AMES.
"Une propagande nationaliste inculquée depuis trente ans"
Selon lui, "le mouvement indépendantiste d'aujourd'hui est le résultat de la propagande nationaliste inculquée dans les écoles depuis plus de trente ans". En 1983, la loi de normalisation linguistique est votée pour que les langues catalane et espagnole soient enseignées dans tous les établissements de la région, l’objectif étant que tous les élèves soient capables d’utiliser les deux langues à la fin de leurs études. Dans les années 1990, le texte est supplanté par la loi "de politique linguistique" qui définit le catalan comme langue principale d’enseignement dans toutes les disciplines, le castillan devenant alors une matière à part.
À ce processus vient s’ajouter le "Programme 2000" lancé en 1990 par l'ancien président de la Catalogne Jordi Pujol, dont l’objectif est “l’infiltration nationaliste dans tous les milieux sociaux”. Le "père de la nation catalane" en trace les grandes lignes dans un document de travail, qui fuite dans la presse de l’époque. Concernant l’enseignement, l’objectif affiché consiste notamment à "promouvoir le sentiment national catalan des enseignants, des parents et des étudiants, garantir la connaissance parfaite de la géographie, de l'histoire et d'autres faits socioculturels de la Catalogne".
"Commentaires suprématistes envers les Espagnols"
Interrogé par France 24, Carlos Rivadulla, le vice-président de l’association unioniste “Empresaris de Catalunya” âgé de 43 ans, n’a pas gardé un bon souvenir de ses cours de catalan. "Je me souviens qu’au collège, mon professeur nous disait que les Catalans étaient meilleurs que le reste de l’Espagne, qu’on était plus forts, ça me choquait beaucoup d’entendre ça en cours", raconte-t-il. Aujourd’hui, le corps enseignant continue, semble-t-il, de véhiculer un sentiment nationaliste. Dans le collège de la Salle de Barcelone, des parents d’élèves ont dénoncé, en octobre, les "commentaires suprématistes des professeurs envers les Espagnols" que leur ont rapportés leurs élèves.
Ils se sont également insurgés de voir les livres d’histoire et de géographie uniquement écrits en catalan sauf pour les interventions de figures dictatoriales, telles que Franco ou Primo de Rivera, qui sont, eux, en espagnol. Un groupe d'enseignants du secondaire catalan a, de son côté, répertorié dans un rapport de 50 pages des exemples trouvés dans des manuels scolaires d’histoire et de géographie, qui révèlent une approche hyper-centrée de la Catalogne et la place minimaliste de l’Espagne. "On a l’impression que la Catalogne est un autre pays de l'Union européenne", commente le collectif.
"L’endoctrinement nationaliste opère dans les écoles", assurait en octobre dans le quotidien El Pais l’historienne et enseignante María Elvira Roca. "Il y a eu une distorsion complète et absolue de l’enseignement traditionnel. Nous avons deux générations de jeunes éduqués dans une haine." La manipulation de la jeunesse fait partie du processus des mouvements suprématistes tel que le mouvement indépendantiste catalan, ajoute-t-elle.
Une enquête du gouvernement de Madrid
De son côté, le ministère espagnol de l'Éducation a reconnu l’ampleur du phénomène, en dénonçant "l’incitation des professeurs à inculquer la haine envers l'Espagne et utiliser le calendrier scolaire pour des activités chargées d'idéologie politique". En septembre, le gouvernement madrilène a adressé deux demandes au gouvernement catalan pour qu'elle intervienne afin de faire respecter le principe de souveraineté dans les établissements scolaires et a également diligenté une enquête dans toutes les écoles.
La ministre catalane de l'Éducation, Clara Ponsatí, ancienne secrétaire de l'Assemblée nationale catalane (ANC), parle "d'accusations infondées et de mensonges sans scrupules" et accuse le gouvernement de "blesser" le corps professoral.
La Generalitat assure que les livres sont écrits par des "professeurs d'histoire" et rejette toute polémique. S’il est difficile de mesurer l’ampleur de cet endoctrinement dans un système comprenant 5 451 écoles, 1,5 million d'élèves et 71 000 enseignants, une étude menée par l’AMES révèle que plus de 40 % des enseignants de Catalogne ne se sentent pas espagnols et 61 % se disent favorables à la possibilité d'un état indépendant, contre 42 % pour la population catalane.