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Avec son satellite d'observation, le Maroc change de statut et inquiète ses voisins

Le Maroc possède depuis le 8 novembre un premier satellite d'observation en orbite, le Mohammed-VI A, qui sera rejoint dans l'espace par un deuxième en 2018. Une nouvelle capacité de renseignements qui inquiète notamment l'Espagne et l'Algérie.

En lançant en toute discrétion, dans la nuit du 7 au 8 novembre, son premier satellite d’observation de type Pléiades, qui permet d’obtenir des clichés d’une très grande résolution n’importe où sur la planète, le Maroc est devenu le premier pays du continent africain à se doter d’une capacité de renseignements aussi sophistiquée. Obtenu dans le cadre d’un contrat signé en 2013 avec la France et estimé à 500 millions d’euros, selon Le Monde, ce satellite construit par le consortium Thales Alenia Space et Airbus sera rejoint dans l’espace par un deuxième engin similaire l'an prochain, qui offrira au Maroc la possibilité de photographier la Terre où bon lui semble, 24 heures sur 24. Pour Florence Gaillard-Sborowsky, chercheure à la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste des ambitions spatiales des pays arabes notamment, contactée par France 24, cette nouvelle capacité d’observation permet au Maroc de changer de statut et d’envoyer un message à ses voisins.

France 24 : Le Maroc s'est doté d'un satellite d'observation mis sur orbite le 8 novembre. Dans quel but ?

Florence Gaillard-Sborowsky : Officiellement, les applications de ce satellite seront duales : civiles et militaires. De toute évidence, quand on achète un satellite de type Pléiades, on ne peut pas décemment se targuer d’avoir uniquement à l’esprit des applications civiles pour lesquelles un tel satellite n’est pas nécessaire. Il s'agit quand même d'un duo de satellites, puisque le deuxième sera lancé en 2018, qui possèdent une résolution de 50 cm et qui offriront au Maroc des capacités de renseignements importantes.

Enfin, le peu de communication entourant le lancement de ce satellite renforce les soupçons d'utilisation militaire. D'ordinaire, un pays qui accède à l'espace communique beaucoup pour le faire savoir. On se souvient notamment des débuts spatiaux de l'Algérie ou des Émirats arabes unis. Chaque étape de la conquête spatiale est normalement toujours utilisée médiatiquement à destination de l’opinion publique intérieure et de l’étranger. Or, dans le cas marocain, il y a eu beaucoup de discrétion. On sait très peu de choses sur le contrat signé avec la France en 2013 et il n’y a eu aucune communication officielle à l’occasion du lancement de satellite Mohammed VI-A.

Cela signifie-t-il que le Maroc a mis en place une politique spatiale durable ?

Je ne le crois pas. En principe, lorsqu’un pays souhaite se lancer à la conquête de l’espace, il commence par acheter un petit satellite et il y a dans le contrat un accord pour des transferts de technologie. C’est ce qu’a fait l’Algérie par exemple avec ses satellites Alsat 1 et 2. Il y avait une volonté affichée d'avoir à terme une capacité à produire nationalement ses propres satellites. Ce n’est pas le cas avec le Maroc. On ne voit pas apparaître pour le moment une politique spatiale qui irait dans ce sens. Le contrat signé avec la France ressemble en réalité davantage à un "contrat d’armement" classique.

Avec ce satellite, le Maroc change de statut ?

Oui, clairement, car le royaume devient le premier pays de tout le continent africain à avoir une telle capacité d’observation. Il y a par ailleurs un message envoyé aux voisins algérien, espagnol et mauritanien, avec lesquels il existe des contentieux : le Maroc peut désormais observer ce qu’il se passe à ses frontières. Bien sûr, l’argumentaire officiel consiste à dire que cela va lui permettre de lutter contre l’immigration clandestine, la contrebande ou le terrorisme… ce qui est vrai. Mais le Maroc pourra surtout surveiller les mouvements de troupes et les installations militaires qu’il ressent comme des menaces territoriales.

Justement, comment ont réagi ses voisins ?

L’Espagne s’inquiète car elle se rend compte que son avantage technologique se rétrécit. On connaît les tensions qui existent entre les deux pays au sujet des eaux territoriales au large des Canaries et des enclaves de Ceuta et Melilla. Or, Madrid ne possède pas de satellite d’observation et doit se contenter de sa participation de 2,5 % dans le programme d’observation européen Helios, et ne peut donc en profiter que 2,5 % de son temps. Pour vous donner un exemple tout à fait parlant : en 2002, lors de la crise de l’îlot Persil [dont la souveraineté est à la fois revendiquée par Rabat et Madrid], l’Espagne n’avait pas pu obtenir à temps les images qu’elle souhaitait.

L’Algérie, de son côté, est accusée depuis longtemps de soutenir le Front Polisario dans le Sahara occidental. Dorénavant, le Maroc va pouvoir observer de près tout mouvement sur le terrain. Ce n’est pas la même chose de porter une accusation et d’en avoir la preuve irréfutable grâce à des photos satellite. Il sera donc particulièrement intéressant de suivre la première communication du Maroc une fois que son deuxième satellite sera lancé.