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Bataille de Cambrai : Deborah, le tank qui a passé près d'un siècle sous terre

À l'occasion du centenaire de la bataille de Cambrai, un centre d'interprétation va ouvrir dans le village de Flesquières. Il a été spécialement conçu pour accueillir un tank britannique, unique en France, touché lors des combats en 1917.

C’est une vieille dame de 28 tonnes répondant au doux nom de Deborah. Un monstre d’acier de 8 m de long et de 2,5 m de hauteur. Un tank unique en France, datant de la Première Guerre mondiale et classé aux Monuments historiques. Pour accueillir un tel engin, un nouveau musée va ouvrir ses portes le 25 novembre à Flesquières, dans le Nord, cent ans après la bataille de Cambrai. "Ce centenaire est vraiment le moment opportun pour être au rendez-vous de l’Histoire", explique Florence Albaret, la directrice des Affaires culturelles de la ville de Cambrai. "C’est l’un des rares tanks ayant participé à la bataille qui existe encore de nos jours et le seul à être conservé sur le lieu où il a combattu".

Deborah est l’un des tous derniers témoins directs de la bataille de Cambrai. Le 20 novembre 1917, ce char britannique Mark IV "femelle", car doté exclusivement de mitrailleuses, est engagé dans une offensive sans précédent. Pour la première fois, les Britanniques utilisent massivement des chars d’assaut, une technologie encore très récente. A 6h20 du matin, sur un front de 10 km, 476 tanks s’élancent vers les lignes allemandes. L’effet de surprise fonctionne. Le Tank Corps réalise une percée. Mais dans le village de Flesquières, où se trouve le tank Deborah, les Allemands résistent avec ardeur. Le char britannique est touché par un obus et neutralisé. Jusqu’à la fin de la guerre, la carcasse du tank reste sur place, mais en 1919, le génie britannique qui nettoie le champ de bataille finit par l’enfouir sous terre dans une énorme fosse.

Une simple rumeur

Pendant des décennies, Deborah ne fait plus parler d’elle. À la surface, les hommes l’ont oubliée. Mais au début des années 90, Philippe Gorczynski, un habitant de la région, prend connaissance d’une rumeur. Une femme âgée se souvient d’un char qui aurait été enterré dans les environs. Intrigué, cet hôtelier passionné par la Grande Guerre se lance à sa recherche. "C’est comme si on m’avait donné une carte pour trouver un trésor", souligne Philippe Gorczynski. "Au départ, le témoignage s’est avéré très intéressant, mais ensuite sur le terrain, il s’est révélé beaucoup plus fumeux parce que je ne voyais rien du tout". Mais l’historien amateur s’accroche. Il en est persuadé. Un tank de la Première Guerre mondiale est là quelque part : "Il fallait à tout prix que je le trouve. J’avais déjà remonté près de trois tonnes de pièces de char, mais mon but n’était pas de faire un puzzle géant, mais d’en trouver un complet".

Après avoir consulté des centaines de documents d’archives et des photographies aériennes, Philippe Gorczynski affine sa zone de recherche. En novembre 1998, un sondage est enfin effectué à l’emplacement présumé du blindé. Son hypothèse est la bonne. Deux semaines plus tard, avec la participation d’une équipe du Service d’archéologie d’Arras, Deborah sort enfin de terre.  Pour le préserver, le char est placé dans une grange achetée par son découvreur dans le village de Flesquières.

"Sculpté par la guerre"

Mais Philippe Gorczynski n’en a pas fini avec ses recherches. A l’époque, il ne sait pas encore que le tank porte le nom de Deborah. C’est en fouillant dans les archives britanniques qu’il découvre son identité et son histoire. "Cela m’a pris quelques années avant de trouver les noms des membres de son équipage. Sur les huit soldats engagés dans ce char, cinq ont été tués. Nous avons pu en identifier quatre. Nous avons aussi pu rentrer en contact avec les familles", raconte-t-il.

Une association a depuis été créée. D’autres passionnés ont rejoint ses rangs, comme Anthony Caudron, un jeune policier de la région de Cambrai. "Ce char est unique parce qu’il a été créé par l’homme et parce qu’il a été sculpté par la guerre. Vous pouvez toujours observer aujourd’hui les impacts qui sont visibles dessus. Ils vous prouvent la violence des combats lors de la bataille de Cambrai", décrit-il. "Imaginez, vous êtes enfermés à huit dans une boite d’acier qui est la cible prioritaire de l’artillerie allemande. Les tankistes avaient une notion de sacrifice. Ils avaient conscience d’avoir une espérance de vie moins longue au combat."

Pour mieux faire connaître cet épisode de la Première Guerre mondiale, le char Deborah a enfin quitté sa grange et dispose désormais d’un écrin à sa mesure. Philippe Gorczynski est fier de cette nouvelle étape, mais pour le découvreur du tank, il ne s’agit pas d’un aboutissement : "la victoire finale serait que les jeunes continuent ce travail de mémoire. Le seul moyen de ne pas faire tomber l’Histoire dans l’oubli, c’est de continuer à en parler. Je ne suis qu’un passeur de mémoire".