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Présidentielle au Chili : "Michelle Bachelet n'a pas su répondre aux attentes des Chiliens"

Au Chili, la socialiste Michelle Bachelet s'apprête à laisser le pouvoir au nouveau président qui sera élu dimanche. Le bilan de son deuxième mandat est contrasté, ses réformes sociales ont été contrariées par le ralentissement de l'économie.

Depuis le retour à la démocratie au Chili, c'est une première : jamais la cote de popularité d'un président en exercice n'a été aussi basse. Alors que les Chiliens doivent élire son successeur dimanche 19 novembre, seulement 23 % de la population estime que le second mandat de la socialiste Michelle Bachelet a été une bonne chose pour le pays, selon le Centre d'études publiques (CEP) du pays.

Elle apparaît loin la cote de popularité record de 84 % dont elle pouvait se targuer au sortir de son premier mandat. Oubliée aussi son élection triomphale de 2013 avec 62 % de suffrages. Aujourd'hui, tous les sondages prédisent le retour au palais de la Moneda, à Santiago, du multimilliardaire Sebastian Piñera, candidat de la droite qui a déjà gouverné le pays de 2010 à 2014. La Constitution empêche un président de briguer deux mandats consécutifs et donc Michelle Bachelet de défendre elle-même son bilan. Celui qui s'en charge, Alejandro Guiller, est distancé dans les enquêtes d'opinion.

"Michelle Bachelet a souffert du ralentissement de l'économie"

Comment expliquer cette déception des citoyens envers celle qui a longtemps incarné l'espoir de la fin des inégalités et la rupture définitive avec la dictature de Pinochet (1973-1990) ? "Les attentes des Chiliens étaient énormes et elle n'a pas pu y répondre. Elle a souffert du changement de conjoncture économique qu'a connu le Chili", explique Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste du monde ibérique, à France 24. "Elle a perdu la marge de manœuvre et les moyens dont disposait l'État pour appliquer ses réformes."

Un ralentissement de la croissance qui est en grande partie dû au contexte mondial. Le Chili, dont la principale richesse est le cuivre, a subi de plein fouet à partir de 2015 la chute du cours des matières premières.

Michelle Bachelet est accusée de ne pas avoir eu comme priorité la croissance, solution miracle d'un pays qui se revendique souvent comme "le plus libéral au monde". Une polémique cristallise ces critiques. Fin août, la présidente a donné raison aux écologistes de sa coalition et rejeté le gigantesque projet minier Dominga, évalué à 2 milliards de dollars, contre l'avis de ses ministres de l'Économie et du Budget, qui ont démissionné devant ce camouflet.

Un mandat placé sous le signe du progressisme

L'action écologique est d'ailleurs un des accomplissements à mettre au crédit de Michelle Bachelet : "Elle a initié une métamorphose du mix énergétique chilien en y donnant une plus grande place aux énergies renouvelables", souligne Eugenio Tironi, sociologue et essayiste chilien, à France 24. Elle a également créé une immense aire marine protégée autour de l'île de Pâques à la demande des communautés locales.

Michelle Bachelet peut se targuer de quelques réformes majeures : sa loi travail a donné davantage de pouvoirs aux syndicats, une de ses réformes a imposé une plus grande transparence de la vie politique, elle a permis aux Chiliens de l'étranger de voter lors des élections nationales.

Sur le plan sociétal, elle également amorcé l'ouverture du mariage aux couples de même sexe. Et, dernière victoire, acquise de haute lutte en août dernier, la dépénalisation partielle de l'avortement en cas de risque pour la vie de la femme enceinte, de non-viabilité du fœtus et de viol alors que le Chili, société ultraconservatrice, était jusqu'ici l'un des derniers pays à l'interdire totalement. Cependant, ces conquêtes restent fragiles. Sebastian Piñera a annoncé qu'en cas de victoire et de majorité de la droite, il reviendrait sur ces deux acquis.

L'héritage de Bachelet contesté par les "insoumis" chiliens

Promesse majeure de sa campagne de 2013, Michelle Bachelet s'est attelée à la réforme de l'accès à l'éducation supérieure. Le système actuel, hérité de la dictature, représente une fortune pour les étudiants et leurs parents : 7 000 dollars par année universitaire. Cependant, la gratuité totale des universités publiques promise est encore loin.

"Aujourd'hui, Michelle Bachelet a répondu à la demande des étudiants en augmentant le nombre de bourses et a évité de toucher à tout le secteur économique qui s'est créé autour la privatisation" de l'enseignement supérieur, analyse Jean-Jacques Kourliandsky. "Mais les syndicats étudiants considèrent qu'il s'agit là d'une demi-mesure et demandent à revenir au système d'avant la dictature."

Une timidité dans la réforme qui détourne la plus jeune partie de l'électorat de la coalition de centre-gauche de Bachelet, et les pousse dans les bras du Frente amplio. Ce "Front de gauche chilien", constitué d'une alliance disparate de partis situés à la gauche de la majorité actuelle, a été créé en janvier 2017. Sa candidate, Beatriz Sánchez, ancienne journaliste, se veut la porte-parole des indignés de la société chilienne. Dans les enquêtes d'opinion, elle se trouve aujourd'hui en embuscade derrière Alejandro Guiller et rêve de renverser la table en accédant au second tour.

“Nosotros queremos un pacto social distinto. Sacar el negocio de la salud, las pensiones, la educación, la vivienda”. #BeatrizPresidenta

  Beatriz Sánchez (@BeaSanchezYTu) 13 novembre 2017

"Jusqu'ici, Michelle Bachelet pouvait s'appuyer sur le souvenir de la lutte commune contre la dictature. Mais la formule ne marche plus aussi bien aujourd'hui", explique le spécialiste de l'Amérique latine. "Les nouveaux électeurs sont nés avec la démocratie et la réduction massive de la pauvreté. Ils sont plus exigeants et demandent des changements qualitatifs et qui, à leurs yeux, n'ont pas été suffisamment accomplis par Bachelet."

Une Constitution qui date toujours de l'ère Pinochet

L'objectif du Frente amplio est simple : en finir radicalement avec l'héritage de la dictature. Difficile pourtant d'accuser Michelle Bachelet de complaisance avec celle-ci. Elle qui fut torturée par les militaires, qui a connu l'exil et dont le père, le général Alberto Bachelet, est mort dans les geôles de Pinochet pour être resté fidèle au président Salvador Allende.

"La génération de Michelle Bachelet est celle du compromis pour le retour à la démocratie. Elle a dû s'accommoder de la conservation de la Constitution de 1980", note Jean-Jacques Kourliandsky. "La nouvelle génération qui prend la démocratie pour acquise veut aller plus loin."

"Il n'y a pas eu de remise à plat totale qui aurait supposé l'élection d'une constituante, mais Michelle Bachelet a apporté sa pierre à l'édifice. Elle a fait adopter un changement de la loi électorale qui en termine avec le système binominal et favorise les petites listes", explique le chercheur de l'Iris.

"La présidente a organisé une réflexion sur la Constitution actuelle durant son mandat et enverra certainement un projet de nouvelle Constitution devant le Congrès avant son départ en mars 2018. Mais il y a peu de chances que la réforme aboutisse", ajoute Eugenio Tironi.

"Les Chiliens sont lassés de la politique"

Dernier reproche adressé à Michelle Bachelet, son deuxième mandat aurait contribué au désintérêt massif des Chiliens pour la vie politique. En effet, aux élections municipales de 2016, seulement 35 % de la population s'est déplacé.

"Michelle Bachelet a pâti des accusations de corruption qui ont visé son fils. Mais cela n'a pas été le seul scandale du mandat, une série de révélations sur le financement des campagnes électorales a eu lieu et c'est l'ensemble de la classe politique qui a été discrédité", analyse Jean-Jacques Kourliandsky. "La désaffection citoyenne vis-à-vis des élections est un problème, mais il faut noter qu'il est accentué par la fin du vote obligatoire depuis 2012."

"On est aussi dans une recomposition des identités politiques et les Chiliens ne veulent pas se prononcer. La fin du vote obligatoire leur a donné cette option", complète Eugenio Tironi. "Les Chiliens sont lassés de la politique. Ils n'attendent plus rien de l'État et l'occupant de la Moneda leur importe peu."

Nul n'est prophète en son pays

Cependant, si sur le plan intérieur son bilan est aujourd'hui décrié par la majorité des Chiliens, à l'international, le prestige de celle qui fut la première femme présidente d'Amérique reste intacte. Le magazine Forbes, dans un classement publié en novembre 2017, la considère comme la femme la plus puissante de la région et la quatrième au monde.

Elle est l'une des figures les plus influentes de l'Union des nations sud-américaines. Elle a participé aux négociations dans plusieurs dossiers clés de la zone, tels que les accords de paix du gouvernement colombien avec les guérillas ou le maintien de la paix en Haïti. Les analystes internationaux louent unanimement ses effort pour moderniser son pays.

"Je pense que, au final, le Chili souviendra positivement de Bachelet", veut croire Eugenio Tironi. "Mais pour le moment, les Chiliens veulent de la croissance et c'est exactement ce que leur offre Piñera."