Depuis l'intervention de l’armée et la mise en résidence du président Mugabe, les suppositions sur l’avenir du pays vont bon train sans qu’une issue ne se profile. Tour d’horizon des différents acteurs politiques en présence et de leurs intérêts.
La situation ne décante pas au Zimbabwe. Le pays d’Afrique australe, qui faisait jusque-là surtout parler de lui pour les frasques de son président Robert Mugabe, le plus âgé des "présidents dinosaures" d’Afrique, est dans l'expectative.
L’autocrate de 93 ans est apparu en public, vendredi 17 novembre, pour la première fois depuis le coup de force de l’armée, qui le contraint à rester dans son palais du Toit bleu, dans la capitale Harare. Mais le pouvoir est toujours accaparé par les militaires, même si ces derniers refusent de l’admettre, et les différents acteurs de la crise commencent à dévoiler leurs cartes.
Emmerson Mnangagwa, dauphin déchu et revanchard
Les observateurs s’accordent à dire que la crise qui secoue le Zimbabwe a pour origine le 6 novembre, quand Robert Mugabe a limogé son vice-président, Emmerson Mnangagwa, et lui a demandé de quitter le parti au pouvoir, la Zanu-PF. Celui qui était jusque-là favori de la course à la succession avait alors promis de revenir pour diriger le parti. Inquiets d’être aussi victimes de réformes du président, les cadres de l’armée ont décidé de soutenir Emmerson Mnangagwa.
L’ancien vice-président ne s’est pas encore exprimé et même si son rôle de premier plan dans la crise ne fait guère de doute, rien n’est officiel, y compris son supposé retour au Zimbabwe depuis l’Afrique du Sud. Tout porte à croire qu’il tentera d’assurer l’intérim si Robert Mugabe quitte le pouvoir, afin de faire passer le coup de force comme une transition démocratique aux yeux de l’Union africaine et des observateurs.
Surnommé "le crocodile", ce vétéran de la guerre d’indépendance, compagnon de Robert Mugabe depuis les années 1960, plusieurs fois ministre, jouit d’une certaine envergure à l’international.
"Il peut parler avec les diplomates occidentaux, il a une crédibilité personnelle qui lui permet d’assumer les fonctions suprêmes et d’obtenir un répit auprès des bailleurs de fonds", rappelle Daniel Compagnon, professeur à Sciences-Po Bordeaux et auteur de "A Predictable Tragedy : Robert Mugabe and the Collapse of Zimbabwe" (2011, non traduit en français), notant toutefois le passé sanguinaire du "crocodile". L’impitoyable répression qu’il a ordonnée en 1983 dans les provinces dissidentes du Matabeleland et des Midlands, alors qu’il est chef de la Sécurité nationale, lui a d’ailleurs valu ce surnom reptilien. Le bilan, non confirmé, était d’environ 20 000 morts.
Les Forces de défense et la vieille-garde de la Zanu-PF, unis par la crainte d’une purge
Depuis son intervention dans la nuit du 14 au 15 novembre, l’armée a annoncé plusieurs arrestations de proches de Robert Mugabe, qualifiés de "criminels". Parmi eux, plusieurs membres de la nouvelle génération de la Zanu-PF, tels que le ministre des Finances Ignatius Chombo et le ministre des Services publics Patrick Zhuwao. Les militaires craignaient que ces membres du "G40", la faction dissidente du parti, menés par la Première dame Grace Mugabe, ne leur fassent perdre leurs pouvoirs et leurs prérogatives s’ils obtenaient les faveurs du président. La crainte de l’annonce du remplacement d'Emmerson Mnangagwa par Grace Mugabe au Congrès du parti, prévu à la mi-décembre, a servi de catalyseur.
"Ils forment la même strate qui a soutenu à fond Mugabe aux élections de 2008 [face à l’opposant Morgan Tsvangirai]. Il était leur meilleur garant jusqu’au mois dernier", explique Daniel Compagnon. "Mais face à une situation où les décisions de Mugabe allaient affecter leur position, les militaires préfèrent se rallier à Mnangagwa qui pourra les sortir de l’impasse et assurer une transition ou ils ne perdront pas tout."
Les anciens combattants, partenaires girouettes de Robert Mugabe
La puissante Association des vétérans de guerre s’est rangée du côté des militaires dès le début de la crise. Composée en partie d’anciens combattants de la guerre d’indépendance et de membres influents de la Zanu-PF, elle a à tour de rôle, depuis sa création en 1989, soutenu et défié le vieux président. Depuis fin 2016, la tendance était plutôt à la confrontation, après que Robert Mugabe a limogé de son gouvernement le président de l’organisation, Christopher Mutsvangwa. Vendredi, ce très influent leader a exhorté Robert Mugabe à quitter le pouvoir. "Nous lançons un avertissement ferme à Mugabe et à sa femme : la partie est finie. Nous voulons rétablir notre fierté, demain est le moment de le faire", a-t-il lancé lors d’une conférence de presse, en appelant la population, jusque-là restée calme, à se mobiliser en masse samedi dans les rues de la capitale.
"Mutsvangwa a récupéré le potentiel de mobilisation de l’Association et l’a mis au service des ambitions de Mnangagwa", explique Daniel Compagnon, qui souligne le pragmatisme de l’organisation. "Ce n’est pas une force qui fait les rois, mais c’est un groupe de pression très influent, notamment car leurs membres sont à la fois présents à l’intérieur et à l’extérieur de la Zanu-PF."
L’Afrique du Sud, alliée de circonstance
Après s’être déclaré hostile à un changement de régime "inconstitutionnel" chez son voisin, le président sud-africain Jacob Zuma s’est empressé d’envoyer à Harare ses ministres de la Défense et de la Sécurité d’État comme émissaires pour participer aux négociations. Plus d’un million de Zimbabwéens vivent chez leur grande et riche voisine. Cette dernière redoute une déstabilisation régionale, qui pourrait s’étendre à son territoire, en cas de chute de Robert Mugabe.
"Ils ne sont pas forcément hostiles à une transition, mais il faut qu’elle ne soit pas trop brutale, qu’elle ne déstabilise pas trop le pays. Il faut donc qu’elle soit constitutionnelle ou au moins qu’elle en ait l’apparence. D’où l’importance que Mugabe consente de lui-même à transférer le pouvoir", remarque Daniel Compagnon.
Des deux côtés de la frontière, tous les acteurs souhaitent ménager le président Mugabe, bénéficiant d’une aura quasi-sacrée, insiste le chercheur. "Ni les militaires zimbabwéens ni le gouvernement sud-africain ne veulent s’en prendre à la personne de Mugabe, dont la réputation de libérateur dépasse largement le pays. Il doit rester inviolé, on ne peut pas s’en prendre à lui, car personne ne veut être pointé du doigt comme celui qui l’a mis à bas."