En limogeant de la compagnie pétrolière angolaise la fille du président sortant, le nouveau chef d'État, João Lourenço, montre sa volonté de déconstruire le clan au pouvoir depuis 40 ans. Mais ses motivations restent floues.
Alors que le Zimbabwe entretient le doute sur une transition politique après vingt-neuf ans de présidence de Robert Mugabe, un autre pays de la région multiplie les signes d’un "enterrement du père". Au moment où les chars occupaient les rues de Harare, mercredi 15 novembre, le président angolais João Lourenço annonçait le limogeage d’Isabel dos Santos, PDG de la compagnie pétrolière nationale Sonangol.
Multimilliardaire dans un pays où 70 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, la femme d’affaires, surnommée la "princesse" et peu appréciée des Angolais, représente encore la toute-puissance du clan installé par son père, José Eduardo dos Santos, président du pays de 1979 à septembre 2017. En la limogeant moins de deux mois après son investiture, et en la remplaçant par un proche, João Lourenço a effectué un coup de force.
Lors de son premier discours à la nation, en octobre 2017, il avait livré un réquisitoire contre la corruption, endémique dans le pays, et promis d’ambitieuses réformes. Mais peu d’observateurs l’avaient pris au sérieux, doutant de sa marge de manœuvre dans un système bâti par et autour de José Eduardo dos Santos, à la tête du parti au pouvoir, le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA).
Succession de limogeages
"La rapidité avec laquelle Lourenço a pris ses marques par rapport au clan Dos Santos surprend tout le monde, y compris en Angola", constate pour France 24 Didier Péclard, spécialiste de l’Angola au Global Studies Institute de l’université de Genève.
Au-delà du limogeage de la PDG de Sonangol, João Lourenço a mis fin au contrat liant une chaîne de télévision publique à une entreprise privée dont deux autres enfants de l’ancien chef d’État, Welwitshia et José Paulino dos Santos, sont actionnaires. Il avait auparavant remercié l’ancien vice-président Manuel Vicente, un temps pressenti pour être le successeur du patriarche, et surtout le ministre d’État Manuel "Kopelipa" Hélder Vieira, très proche du clan Dos Santos et ancien responsable de la "casa militar", les tout-puissants services de sécurité. La prochaine victime est toute désignée : ce sera sans doute José Filomeno dos Santos, quatrième fils de l’ancien président, à la tête de l’obscur Fonds souverain de l’Angola, doté de 5 milliards de dollars.
Inégalités criantes
João Lourenço a frappé vite et fort, mais pas sans être aidé par les apparatchiks du MPLA. "On assiste là à un rééquilibrage des forces à l’intérieur du parti. (…) Il y a suffisamment d’esprit de revanche au sein du MPLA pour que ce soit possible", continue Didier Péclard. Pour pouvoir ainsi déjouer les pronostics et déconstruire la maison Dos Santos, João Lourenço surfe sur la volonté de changement et de renouvellement qui prévaut parmi la population angolaise, fatiguée des privations dans ce pays qui est le second plus gros exportateur de pétrole et deuxième source de diamants en Afrique, mais où les inégalités sont criantes.
"Personne n'est si riche et si puissant qu'il ne peut être puni, et personne n'est si pauvre qu'il ne peut être protégé", lançait le nouveau président lors de son investiture, promettant des réformes dans tous les secteurs : liberté de la presse, santé, égalité des sexes, corruption…
Il est encore trop tôt pour parler de promesses tenues ou d’une machine en marche, mais l’apparente mise au ban de la famille Dos Santos va dans le sens d’un renouvellement. Le patriarche, vieux et malade, est toujours à la tête du MPLA, mais il compte quitter la vie politique en 2018 et n’a pas réagi au nettoyage dont pâtit son establishment.
"Éléphants blancs"
Reste à savoir quelle direction prendra ce renouvellement. L’Angola subit toujours la chute des prix du pétrole, dont dépend 75 % de son économie, ne produit presque rien et importe la quasi-totalité de ses besoins. Le pays doit forcément se diversifier pour sortir de la spirale d’inégalités héritée du pouvoir sans partage du clan Dos Santos.
"João Lourenço sera attendu au tournant par tout le monde sur le fait de savoir s’il y aura de réelles réformes. Va-t-il impulser des changements dans la structure économique du pays pour qu’il soit moins dépendant du pétrole, comme il l’a dit ?", questionne Didier Péclard. Le chercheur souligne que le nouveau président, qui a récemment rappelé l’importance de l’agriculture pour moins dépendre des importations, doit favoriser les liens locaux et non des projets énormes financés par l’étranger, notamment la Chine.Comme ces "éléphants blancs" typiques du pays, illustrés par les immenses tours de verre de Luanda, mal finies ou pas habitées, cache-misère de la capitale la plus chère du monde pour les expatriés.
"Ça n’est certes pas rien qu’un nouveau président fasse aussi vite son espace politique, mais on doit encore voir ce qu’il en fera, ça peut aussi être un changement dans la continuité, avec la même élite", prévient, prudent, Didier Péclard. Difficile de pronostiquer sur les ambitions d’un homme assis sur un océan de pétrole et de diamant, membre du parti au pouvoir depuis sa création, et entouré d’un système bâti et consolidé par des décennies de corruption.