Alors que les attentats se multiplient en Afghanistan, la production d'opium repart à la hausse pour une nouvelle année, révèle l'étude annuelle de l'ONU. Un constat d'échec pour les politiques locales et la communauté internationale.
Des milliards de dollars déversés depuis des décennies, des efforts consentis par la communauté internationale pour développer l'Afghanistan, il ne semble pas rester grand-chose. L’insécurité augmente, la corruption est omniprésente, les transports et l’agriculture sont dévastés et les jeunes préfèrent se heurter à la forteresse européenne, quitte à mourir noyés dans la Méditerranée, plutôt que de rester. Le seul indicateur en hausse est celui de la production de pavot qui reste la principale manne financière du pays. Selon les estimations annuelles de l’ONU, les surfaces dédiées à sa culture ont augmenté de 63 % par rapport à 2016, atteignant le record de 328 000 hectares cultivés.
L’augmentation est notable dans toutes les provinces productrices de pavot. Dans le Helmand, région frontalière du Pakistan, les cultures ont augmenté de 79 %, pour recouvrir une surface de 63 700 hectares. Produisant à elle seule près de la moitié du pavot du pays, elle consacre désormais un tiers de ses terres cultivables à la fleur rose et blanche, indique le rapport de l'agence des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) rendu public mercredi 15 novembre.
L’ONU s’inquiète aussi de la généralisation de la production sur l’ensemble du territoire. Les régions épargnées se réduisent comme une peau de chagrin. Entre 2016 et 2017, le nombre de provinces non productrices de pavot est passé de 13 à 10. Dans les régions du nord par exemple, où le pavot était quasi inexistant il y a 5 ans, l’expansion a été rapide : en 2014, 574 hectares y était cultivés ; en 2017, 43 000 hectares.
Près de 90 % de la production mondiale d'opium
La production d’opium – substance psychotrope produite à partir de la fleur de pavot – a proportionnellement explosé en Afghanistan : elle est estimée à 9 000 tonnes en 2017, soit 87 % de plus que l’année précédente. Cette intensification est liée à l’augmentation de la surface de terres cultivées mais aussi à la croissance du rendement. Cette année, les paysans ont pu compter sur un rendement de 27,3 kg en moyenne par hectare cultivé, soit 15 % de plus qu’en 2016.
Les facteurs expliquant cette constante augmentation sont multiples. Le rapport de l’ONU évoque l’instabilité politique, la corruption, le manque de contrôle gouvernemental et la dégradation sécuritaire. Le Helmand, par exemple, compte aussi parmi les régions les plus troublées du pays et échappe en grande partie au contrôle du gouvernement. À l’instar de nombreuses autres provinces.
Le gouvernement afghan contrôle à peine 60 % du pays, contre 66 % l'an dernier, selon l'inspecteur général spécial des États-Unis pour la reconstruction de l'Afghanistan. Le Sigar, l'organisme américain chargé du contrôle des dépenses de Washington en Afghanistan, a de son côté recensé plus de 6 500 incidents sécuritaires – attaques, bombes, fusillades – au cours de la première moitié de l’année.
La pauvreté est aussi en cause : en Afghanistan, tous les indicateurs économiques sont au rouge et le revenu intérieur brut a baissé de 25 % au cours des six premiers mois de l'année, selon le Sigar. Et si le pavot finance les Taliban, il fait également vivre des millions de paysans. Selon l’ONUDC, la production de pavot en 2017 a rapporté 1,39 milliards de dollars. Une manne qui rend la lutte difficile : ni les Américains ni le gouvernement ne veulent priver les Afghans de leur principal gagne-pain.
De la médecine traditionnelle à l'héroïne
Lucratif, facile à cultiver et à stocker, le pavot est une culture ancestrale en Afghanistan. "C’est la plante idéale : elle est résistante, elle pousse en milieu aride et ne consomme pas beaucoup d’eau ; elle ne demande pas beaucoup de travail et se conserve très facilement", explique Bernard Dupaigne, ethnologue au Muséum d'histoire naturelle, spécialiste de l’Afghanistan et auteur de "Désastres afghans" (Gallimard).
Sa transformation en opium est tout aussi simple. "Il suffit d’entailler la capsule de pavot et de laisser couler la sève. Les paysans mettent leurs boulettes d’opium dans des boîtes et ils attendent que les cours remontent. Le produit peut passer deux ou trois ans sans s’abîmer", précise le chercheur, qui rappelle que l’opium était d’abord utilisé par les Afghans comme médecine traditionnelle.
"Dans les régions reculées, il n’y a pas de médecin et l’opium sert d’antidouleur", explique Bernard Dupaigne. Les effets analgésiques de la plante sont en effet reconnus par la médecine qui en a tiré la morphine. Mais l’opium n’en reste pas moins sur la liste internationale des stupéfiants et une bonne partie de la production brute va prendre la direction des laboratoires installés le long de la frontière pakistanaise pour être transformée en héroïne.
Selon l’ONUDC, entre 47 et 55 % de l’opium produit en Afghanistan va être transformé en héroïne ou en morphine. La drogue sera ensuite exportée via l’Iran ou la Russie pour arroser l’Occident, Europe en tête, et faire des ravages sur son passage. Elle n’épargne pas non plus les Afghans. Les héroïnomanes se faisaient rares avant l’invasion de l’Afghanistan par les troupes américaines. Mais après plusieurs années de guerre, l'effondrement de l'économie nationale et la multiplication de la production d’opium, il y a désormais près de 4,6 millions de toxicomanes en Afghanistan, selon les estimations des Nations unies.