En septembre 2016, l'ex-directeur de l’Alliance française en Sibérie disparaissait après avoir été accusé d'acte sexuel sur sa fille. Mercredi, il est réapparu en France où il a livré le récit de sa fuite pour échapper aux autorités russes.
Les quatorze mois de fuite de Yoann Barbereau contiennent tous les ingrédients d’un bon roman d’espionnage : disparition mystérieuse, téléphone portable abandonné, ordinateur piraté...
Cet ex-directeur de l'Alliance française d'Irkoutsk (Sibérie), accusé d'actes sexuels sur sa fille par les autorités russes, s’était volatilisé en septembre 2016 après avoir été condamné par la justice russe. Il est réapparu à Roissy, mercredi 8 novembre, à la surprise générale.
Le sourire de Yoann Barbereau, entouré de ses proches à Roissy. Le fugitif nantais a réussi à rentrer en France après 14 mois de clandestinité en Russie. Les coulisses d'une histoire rocambolesque, loin d'être terminée, ce jeudi dans #EnvoyeSpecial #France2 #Kompromat pic.twitter.com/SPbCZ5xtDA
Tristan Waleckx (@tristanwaleckx) 8 novembre 2017Aujourd’hui, Yoann Barbereau dit avoir fui la Russie "par ses propres moyens", après s’être réfugié plus d’un an à l'ambassade de France à Moscou. "J'ai risqué ma vie ces derniers jours (...) pour ma liberté, pour mon honneur", a-t-il déclaré dans une interview diffusée jeudi soir par le magazine Envoyé Spécial sur France 2. "Depuis trois ans je vivais dans un tout autre monde, dans une toute autre réalité."
Yoann Barbereau sort du silence : "Je suis un otage, suite à la fabrication d'un #kompromat" #EnvoyeSpecial pic.twitter.com/F6pwr8Hflm
Envoyé spécial (@EnvoyeSpecial) 9 novembre 2017Moscou annonce de nouvelles poursuites
Au lendemain de son retour en France, depuis sa ville de Nantes, Yoann Barbereau s’est exprimé au cours d’une conférence de presse durant laquelle il a levé le voile sur une partie des zones d'ombre de ce périple.
Portant une chemise noire et une écharpe blanche à rayures rouges, il a raconté s’être servi de l'application de covoiturage Blablacar. "Je me suis fondu dans le paysage, je voyageais avec des Russes" a-t-il expliqué. Puis il a dit avoir traversé la frontière à pied, de nuit, pendant une dizaine d'heures. "J'ai croisé des loups dans la forêt", a-t-il assuré. "Passer une frontière ne se fait pas comme ça. C'est vrai que ces derniers mois j'ai étudié des cartes satellites", a-t-il précisé.
Yoann Barbereau a refusé de donner plus de détails sur la route empruntée ensuite, mais d’après le reportage d’Envoyé spécial, celui-ci serait passé par un pays balte. Visé par une notice rouge d'Interpol, il a alors été arrêté par la police locale qui l'a placé en garde à vue, puis l'a laissé rejoindre la France.
Alors que le Français venait tout juste de retrouver sa famille nantaise jeudi, la Russie n’a pas tardé à réagir. Moscou a annoncé vendredi avoir engagé de nouvelles poursuites contre Yoann Barbereau pour avoir quitté illégalement le pays.
Caché dans l’ambassade de France pendant un an
Le cauchemar de l’ex-directeur de l’Alliance française commence en février 2015. Celui-ci est alors arrêté à son domicile par "une dizaine d'hommes" et effectue 71 jours de détention provisoire et 20 jours d'internement d'office dans un hôpital psychiatrique.
Il est accusé d'avoir diffusé une vidéo à caractère sexuel sur un site internet de "conseils aux jeunes parents" et de s'être livré à des gestes pédophiles sur sa fille franco-russe. Des accusations qu’il a toujours niées, affirmant être la victime d’un complot avec des preuves fabriquées. Son ordinateur aurait été piraté et des photos de familles retouchées.
L’Alliance française d’Irkoutsk, terrorisée par l’affaire Barbereau, serait-elle victime d’intimidation de la part des autorités ? #Kompromat #EnvoyeSpecial pic.twitter.com/t78cCCEUWN
Envoyé spécial (@EnvoyeSpecial) 9 novembre 2017Ces "fausses accusations" sont dues, selon lui, à sa proximité avec l'ancien maire d'Irkoutsk, un "opposant farouche à Russie unie", le parti de Vladimir Poutine. "C'est sans doute un des facteurs qui m'a amené en prison. Je suis tombé en même temps que le maire qui était un ami", a-t-il avancé, évoquant par ailleurs une "situation politique locale très trouble", des "luttes d'influences au FSB [ex-KGB]".
"Les policiers étaient là pour monter une affaire", témoigne Daria, la femme de Yoann Barbereau #Kompromat #EnvoyeSpecial pic.twitter.com/YG6O4ZwyFJ
Envoyé spécial (@EnvoyeSpecial) 9 novembre 2017Après avoir été assigné à résidence chez lui, le Français prend la décision de prendre la fuite, craignant un procès pipé. Yoann Barbereau enveloppe son bracelet électronique de papier aluminium, place son téléphone portable dans un car, puis disparaît sans laisser de traces.
Pour brouiller les pistes, il prend soin de poster un message énigmatique sur Facebook faisant référence à la fuite d’un cardinal depuis la prison de Nantes en 1654. Son post est localisé à Oulan-Bator en Mongolie. En réalité, il a réussi à gagner l'ambassade de France à Moscou sous une fausse identité.
"Une faillite diplomatique"
Condamné en Russie à 15 ans de prison, Yoann Barbereau s’est dit "soulagé" d'être rentré en France. Le fugitif, directeur de l' Alliance française d'Irkoutsk (dépendant du ministère des Affaires étrangères) au moment où il a été arrêté, a néanmoins vivement critiqué le traitement de son affaire par les autorités françaises. "C'est une faillite diplomatique assez visible", a-t-il lancé, parlant d'"incompétence majeure" et "d'impuissance" du Quai d'Orsay.
Dès jeudi, le ministère des Affaires étrangères a réfuté toute inertie, soulignant avoir "régulièrement évoqué sa situation avec les autorités russes" et informé son entourage des actions entreprises. "Nous observons toujours la plus grande discrétion pour protéger au mieux les droits de nos compatriotes en difficulté à l'étranger", a ajouté le ministère.
"Dès lors qu'il s'est soustrait à la justice russe et s'est présenté à l'ambassade de France à Moscou pour y trouver refuge, toutes les mesures nécessaires pour l'assister et assurer sa sécurité ont été prises", a expliqué le Quai d’Orsay.
Yoann Barbereau réclame néanmoins une indemnisation du ministère. Il souhaite en outre "être lavé de toute accusation" et "retrouver une liberté de mouvement totale", alors qu'il est toujours visé par un mandat d'arrêt russe qui l’empêche de voyager.
Avec AFP et Reuters