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Saad Hariri démissionné ou retenu à Riyad ? Rumeurs et soupçons au Liban

Saad Hariri, qui a démissionné de ses fonctions de Premier ministre, samedi, depuis Riyad, est-il retenu en Arabie saoudite ? Au Liban, les rumeurs vont bon train, alors qu'il n’est toujours pas rentré à Beyrouth.

Près de 48 heures après avoir annoncé depuis Riyad sa démission de son poste de Premier ministre libanais, Saad Hariri a été reçu, lundi 6 novembre, par le roi Salmane d'Arabie saoudite. Plusieurs photos de cet entretien ont été publiées par l’agence officielle locale SPA, par des médias saoudiens, et le leader sunnite en personne a relayé l’information sur son compte Twitter.

Une manière pour Saad Hariri, homme lige des Saoudiens au Liban (la famille Hariri a fait fortune dans le royaume, qui de son côté finance ses campagnes électorales), de répondre une nouvelle fois aux nombreuses rumeurs qui courent depuis sa démission surprise. Certaines d’entre elles faisaient état de son arrestation, ou de son placement en résidence surveillée, dans la foulée d’une opération anti-corruption, qui s’est soldée, le même jour que l’annonce de sa démission, par l’interpellation de plusieurs dizaines de princes et de ministres du royaume wahhabite.

Comme l'ombre d'un doute

Dimanche soir, il avait tweeté en réponse une photo le montrant aux côtés de l’ambassadeur saoudien en poste au Liban, qui venait de prêter serment devant le roi Salmane. Il n’en reste pas moins qu’il est toujours présent, retenu disent certains au Liban, sur le sol saoudien, où il possède plusieurs résidences.

تشرفت اليوم بزيارة خادم الحرمين الشريفين الملك سلمان بن عبدالعزيز في مكتبه بقصر اليمامة pic.twitter.com/4gLKpUTd11

  Saad Hariri (@saadhariri) 6 novembre 2017

Lors de l’annonce de sa démission, un enregistrement vidéo diffusé sur une télévision saoudienne, Saad Hariri avait lié sa démission à la mainmise de l’Iran et de son protégé libanais, le Hezbollah, sur le pays du Cèdre, et déclaré craindre pour sa vie, de manière à justifier implicitement son absence. L’ensemble des services de sécurité libanais ont répliqué en indiquant ne pas disposer d’informations concernant une quelconque menace à l’encontre du Premier ministre.

Malgré ces images le montrant avec le roi Salmane et ses arguments sécuritaires, confirmés par certains de ses proches, nombreux sont ceux, au Liban, à continuer à s’interroger sur les raisons réelles de cette démission surprise, annoncée a fortiori depuis un pays étranger. "Imaginez un seul instant le Premier ministre français annoncer sa démission surprise depuis Londres et décider de rester, malgré la crise politique qu’il vient de déclencher, sur le sol britannique, ce n’est pas normal", argue Wafiq Ibrahim, un politologue et expert en stratégie basé au Liban, interrogé par France 24.

D’aucuns soupçonnent même Riyad d’avoir imposé à celui qui est fréquemment accusé par ses détracteurs d’être un pantin des Saoudiens une telle décision, qui a surpris son propre entourage comme ses rivaux politiques. À commencer par Hasan Nasrallah, le chef du Hezbollah pro-iranien. Ce dernier a directement accusé le royaume d'avoir fait pression sur Saad Hariri, pour l’obliger à démissionner. "Ce n'était ni son intention, ni sa volonté, ni sa décision", a-t-il assuré dans un discours intégralement dédié à ce sujet.

Samedi, le ministre de la Justice Salim Jreissati avait fait part, sur Twitter, de ses doutes quant à la démarche de son Premier ministre. "Cette démission est confuse et suspecte par son 'timing', le lieu d'où elle a été prononcée, le moyen utilisé et le contenu du discours", avait-il tweeté.

Saad Hariri très attendu à Beyrouth

Même au sommet de l’État libanais, on cherche toujours à cette heure à comprendre la décision de Saad Hariri. Cités par des médias libanais, des proches du fils de Rafic Hariri, le Premier ministre assassiné en février 2005, ont indiqué que son retour au Liban interviendrait d’ici trois jours.

"Le président Michel Aoun n’a toujours pas entériné la démission du Premier ministre, confie à France 24 Jean Aziz, un proche conseiller du chef de l’État libanais. Car il estime que ce sujet mérite un peu de temps afin que soient éclaircies les circonstances de cette démission". D’autant plus que la présence du Premier ministre sur le sol libanais est nécessaire, rappelle Jean Aziz, afin que lui soit confiée, lors d’un entretien avec le président, la gestion des affaires courantes en attendant la nomination de son remplaçant et d’un nouveau gouvernement.

Et la diffusion des images de Saad Hariri avec le roi saoudien ne change rien. "La question ne se résume pas et ne se résout pas par la publication d’une photo, car il est nécessaire pour le président Michel Aoun de s’entretenir personnellement avec son Premier ministre, fut-il démissionnaire, et d’avoir une discussion directe afin d’officialiser sa démission", explique Jean Aziz.

Nouveau théâtre des tensions régionales

Mais, même si plusieurs ténors de la classe politique, dont le président Michel Aoun, le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, et le leader druze Walid Joumblatt, ont appelé au calme et à la retenue, le pays du Cèdre s’apprête à vivre des moments difficiles, alors que des législatives sont censées se tenir en mai 2018. Sans compter que la formation d’un nouveau gouvernement est toujours le fruit d’intenses et longues négociations entre les différents camps.

Dans un pays aussi imprévisible que le Liban, les craintes d'une déflagration entre sunnites et chiites sont réelles en raison du contexte de tensions extrêmes entre l’Arabie saoudite et l’Iran, les deux puissances régionales. "On craint désormais une déstabilisation du Liban, car, jusqu’ici, il jouissait d’une relative mise à l’écart des guerres régionales. Or, on voit, avec cette crise, ce pays retrouver sa place au centre du conflit entre l’Arabie saoudite et l’Iran, qui fait rage au Yémen et ailleurs", indique à France 24 Tarek Mitri, ex-ministre libanais.

Une inquiétude que partage Wafiq Ibrahim. "La période qui s’ouvre au Liban est des plus dangereuses car ce pays est la dernière carte qui reste entre les mains des Saoudiens pour s’attaquer à l’influence iranienne, et Riyad semble désormais chercher à fragiliser le Hezbollah dans sa propre base", estime-il.