Dans sa première allocution depuis sa destitution par le gouvernement espagnol, l'ex-président catalan a prôné, samedi, une opposition démocratique à la prise de contrôle directe de la région par l'administration centrale madrilène.
"Nous continuerons à construire un pays libre". Dans sa première allocution depuis la déclaration d'indépendance de la Catalogne et sa mise sous tutelle par l'État espagnol, Carles Puigdemont, l'ancien président de la région, a adopté un ton combatif mais pacifique. Samedi 28 octobre, il a notamment appelé ses anciens administrés "à s'opposer démocratiquement" à la mise sous tutelle imposée par Madrid.
Le décorum de son intervention n'a pas laissé de place au hasard : dans le dos du président destitué, seuls deux drapeaux étaient visibles, le Catalan et l'Européen, mais pas celui de l'Espagne. La version écrite de son discours est d'ailleurs signée "Carles Puigdemont, président de la Generalitat (gouvernement) de Catalogne", laissant entendre qu'il n'accepte pas sa destitution.
En attendant les nouvelles élections régionales, convoquées par Madrid pour le 21 décembre, le gouvernement central poursuivait samedi la prise de contrôle de la Catalogne. La vice-présidente de l'exécutif espagnol, Soraya Saenz de Santamaria, doit réunir les secrétaires d'État qui seront chargés d'assumer les fonctions des gouvernants catalans.
Après la destitution de Carles Puigdemont, celle du chef de la police catalane, Josep Lluis Trapero, a été annoncée dans la matinée. Ce dernier a demandé à ses agents de rester neutres et de ne pas prendre parti dans la crise qui oppose Barcelone à Madrid. Le chef de la police est devenu au fil des semaines une figure emblématique de la crise catalane : considéré comme un héros national en août pour sa gestion des attentats jihadistes, il est désormais sous le coup d'une enquête pour "sédition", la justice le soupçonnant d'être restés passif lors de manifestations visant la Guardia civile en septembre.
"La République catalane comme État indépendant et souverain"
Vendredi soir, quelques heures seulement après la proclamation de "la République catalane comme État indépendant et souverain", le gouvernement espagnol a de fait commencé à mettre en application tout un arsenal de mesures exceptionnelles, préparées depuis des semaines.
À l'issue d'un Conseil des ministres extraordinaire, le dirigeant conservateur Mariano Rajoy a annoncé la destitution du président séparatiste catalan Carles Puigdemont et de son gouvernement. Et le parlement catalan, dominé par les indépendantistes, a été dissous, en attendant son renouvellement, lors d'un scrutin annoncé pour le 21 décembre.
Pas de soutien de Washington, Londres, Berlin, Ottawa ou Paris
Les conséquences de cette déclaration d'indépendance unilatérale de la Catalogne, comme de la mise sous tutelle par Madrid, sont incalculables.
Signe de l'inquiétude en Europe, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, (conservateur du Parti populaire européen) a souligné que l'UE n'a "pas besoin d'autres fissures".
Washington, Londres, Berlin, Ottawa ou encore Paris ont de même immédiatement fait savoir qu'ils soutenaient l'unité de l'Espagne. Et une des rares voix à soutenir les indépendantistes est venue de l'île française de Corse, dominée par les autonomistes.
Tous les démocrates européens doivent soutenir un peuple qui ne demande qu'à exercer librement ses droits. Visca #Catalunya! pic.twitter.com/KzJl5nbxFf
Jean-Guy Talamoni (@JeanGuyTalamoni) 27 octobre 2017Procédure judiciaire pour "rébellion" contre Puigdemont
Cependant, le président du Conseil européen, Donald Tusk, a appelé Madrid à choisir "la force de l'argument plutôt que l'argument de la force", alors que beaucoup craignent que la Catalogne ne soit entraînée dans une spirale de troubles face à la tentative de reprise en main par l'État.
"Le gouvernement a adopté ces mesures pour éviter la prise en otage inadmissible d'une majorité des Catalans et le vol d'une partie du territoire au reste des Espagnols", a plaidé Rajoy.
L'annonce de la mise sous tutelle de la région a été aussitôt accueillie par les huées des dizaines de milliers d'indépendantistes réunis à travers les villes catalanes pour fêter leur nouvelle et fragile "République", sur un territoire grand comme la Belgique où vivent 16 % des Espagnols.
Exprimant le désarroi d'une partie de ses administrés, la maire de gauche de Barcelone, Ada Colau, a diffusé un message amer, rejetant une déclaration d'indépendance "qui n'a pas le soutien majoritaire des Catalans".
Le parquet général d'Espagne a annoncé qu'il engagerait la semaine prochaine une procédure judiciaire pour "rébellion" contre Carles Puidgemont, qui risque la prison.
À Madrid, quelques milliers de personnes se sont rassemblées pour défendre l'unité de l'Espagne, brandissant des drapeaux espagnols : deux camps diamétralement opposés, symbole de cette crise sans précédent pour l'Espagne depuis son retour dans le camp de la démocratie, en 1977.
Avec AFP