La question du retour des réfugiés syriens dans leur pays est de plus en plus une source de tensions et d’inquiétudes au Liban, où la classe politique se divise sur les conditions nécessaires à une telle opération.
"Tout étranger présent sur notre territoire, sans notre accord, est un occupant, quelle que soit son origine." Ces propos, visant implicitement les réfugiés syriens au Liban, prononcés le 8 octobre par le ministre des Affaires étrangères libanais Gebran Bassil, illustrent à eux seuls la tension qui règne autour de cette question très sensible au pays du Cèdre. "Le citoyen syrien, frère, n’a qu’un seul choix devant lui, celui de rentrer dans son pays", a alors insisté le chef de la diplomatie, également gendre du président Michel Aoun.
Selon Beyrouth, 1,5 million de ressortissants syriens ont trouvé refuge au Liban depuis le début du conflit en Syrie, en mars 2011. Un chiffre équivalent à plus d’un quart de la population libanaise, estimée à 4 millions de personnes, qui vit sur un territoire dépassant à peine les 10 000 km2. En privé, des responsables libanais continuent d’affirmer que ce chiffre officiel est en-deçà de la réalité, expliquant qu’un nombre très important de Syriens ne se sont pas inscrits sur les listes du Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR).
Un consensus et des désaccords
S’il existe un consensus autour de la question du retour des réfugiés en Syrie, dont la présence pèse sur l'économie libanaise et menace le fragile équilibre confessionnel du pays (la grande majorité d’entre eux sont sunnites), les conditions de sa mise en place divise la classe politique depuis plusieurs mois. Deux camps s’opposent autour des notions de "départ volontaire", conditionné par un feu vert de l’ONU et un "retour sécurisé", qui implique une coordination avec le régime syrien.
C’est cette dernière perspective, prônée avec insistance par le Hezbollah, le mouvement politico-militaire chiite allié du président Bachar al-Assad, et à laquelle ne s’oppose pas le président libanais Michel Aoun, qui irrite le camp du Premier ministre Saad Hariri. Car, selon ce dernier, qui soutient l’opposition syrienne depuis le début de la crise en Syrie, cela équivaudrait à normaliser les relations avec Damas et faire courir aux réfugiés un risque de représailles.
Dès 2011, le Liban avait opté pour une politique de distanciation vis-à-vis de la crise syrienne, sans pour autant suspendre ses contacts militaires et diplomatiques avec Damas, afin d’éviter que le conflit gagne son territoire. Interrogé en septembre par le journal Le Monde à ce sujet, Saad Hariri a conditionné le retour des réfugiés à la chute du régime du président syrien Bachar al-Assad.
"Au Liban, certains disent qu’on doit renouer des relations avec le régime de Bachar al-Assad pour faire rentrer les réfugiés […], a-t-il indiqué. Ils ne rentreront pas dans leur pays, tant que le régime est là. Et tant que je n’ai pas un feu vert de l’ONU pour un retour sécurisé des réfugiés, je ne ferai rien."
"Nous ne voulons pas attendre leur retour volontaire"
De son côté, lors de sa visite officielle en France, en septembre dernier, le chef de l’État libanais avait plaidé pour un retour des réfugiés syriens, sans conditions. "J'ai notifié au président Macron l'urgence d'organiser leur retour dans leur pays, surtout que la majorité des régions dont ils sont venus sont à présent sécurisées, avait-il plaidé. Nous ne voulons pas attendre leur retour volontaire, et l’aide fournie par les Nations unies pour les maintenir dans des camps de misère doit être utilisée pour les ramener dans leur pays à partir de maintenant", précisait-il.
La France ne soutiendra aucun "retour subi" de réfugiés syriens dans leur pays tant que la stabilité politique ne sera pas assurée, a indiqué le 9 octobre le président Emmanuel Macron à l'issue d'un entretien avec le Haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, Filippo Grandi.
Non signataire de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, le Liban n’est pas tenu de respecter son article 33. Ce dernier stipule qu’aucun des États contractants "n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée".
Au Liban, certaines ONG de défense des droits de l’Homme tirent la sonnette d’alarme. "Nul ne peut garantir que le retour des réfugiés en Syrie est sans danger pour eux, explique Tarek Wehbe, porte-parole d’Amnesty International, à France 24. Afin de ne pas exposer les réfugiés à des risques de torture, d’assassinat ou d’emprisonnement, il est crucial que leurs droits et leur volonté soient respectés, afin qu’ils restent maîtres de leur destin, en choisissant par eux-mêmes le moment de leur retour."
Dans son dernier rapport publié en avril, la Banque mondiale rappelait l'impact économique de la présence des réfugiés syriens sur le Liban, entassés dans des camps informels aux quatre coins du territoire. Un accueil de plus en plus contesté au sein de la société libanaise, "qui a mis à rude épreuve ses finances publiques déjà fragiles dans un contexte de restriction de l’aide internationale", a-t-elle indiqué.
Selon le gouvernement libanais, le pays du Cèdre n’a reçu cette année que 27 % des promesses d’aides financières promises par la communauté internationale.