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Ahmed Ouyahia, l’homme du serail qui ne fait pas d’ombre à Bouteflika

En Algérie, Ahmed Ouyahia a été nommé, pour la quatrième fois de sa carrière politique, au poste de Premier ministre. Le choix de ce technocrate, proche du président Bouteflika, a moins surpris que le limogeage fracassant de son prédécesseur.

On le surnomme "Monsieur sale besogne" en Algérie. Ahmed Ouyahia a été nommé Premier ministre, mardi 15 août, après le limogeage surprise d'Abdelmadjid Tebboune resté à peine trois mois en poste, un passage éclair qui le fait ainsi entrer dans l’Histoire. Bien connu des Algériens, le nouveau chef du gouvernement est un homme du sérail depuis le début des années 1990. Âgé de 65 ans, Ahmed Ouyahia, président du Rassemblement national démocratique (RND), deuxième parti d’Algérie et allié du Front de libération nationale (FLN), parti historique au pouvoir depuis l’Indépendance, a dirigé le gouvernement par trois fois entre 1995 et 2012. Directeur de cabinet du président de la République Abdelaziz Bouteflika depuis mai 2014, son retour aux affaires est loin d’être une surprise. Son nom était dans l’air du temps depuis les élections législatives de mai dernier, remportées par le FLN, et ce, bien qu’il n’appartienne pas à la majorité présidentielle. Pourquoi Ahmed Ouyahia s’est-il vu confier les rênes du gouvernement ? Est-il l’homme de la situation ou seulement l’unique choix après la disgrâce de son prédécesseur trop enclin à s’attaquer au milieu des affaires ? France 24 a interrogé Hamid Guemache, directeur de la rédaction du site d’informations algérien Tout sur l’Algérie (TSA).

France 24 : Comment Ahmed Ouyahia est-il perçu par les Algériens ? Il a mené des réformes assez impopulaires par le passé…

Hamid Guemache : Ce n’est pas quelqu’un de très populaire. Au pouvoir depuis le début des années 1990, il est toujours resté dans le système en étant ministre ou chef de parti. Mais la question de sa popularité est accessoire. On s’interroge davantage sur le limogeage surprise d'Abdelmadjid Tebboune, qui est resté moins de trois mois à la tête du gouvernement, une première en Algérie. Ce dernier était la grande surprise de l’après-législatives. Abdelmadjid Tebboune n’était pas un politique, c’est un fonctionnaire qui a servi longtemps dans l’administration. Il a été propulsé Premier ministre dans un contexte de crise économique, morale et politique sans précédent. Pourquoi, après avoir confronté les hommes d’affaires, est-il remercié ? En leur déclarant la guerre, Abdelmadjid Tebboune a gagné en popularité sur les réseaux sociaux et auprès de l’opposition qui l’a soutenu face à ceux qui sont proches du cercle présidentiel. Or, le président ne veut pas avoir un Premier ministre populaire. Cela l’a desservi politiquement car il ne veut pas de concurrence. Le président Bouteflika n’avait pas beaucoup de choix s’il souhaitait éviter de reproduire le schéma hasardeux de Tebboune.

Ahmed Ouyahia ne s’est jamais présenté à l’élection présidentielle. Est-ce qu’il attend son heure ? Par exemple 2019 ?

Les ambitions présidentielles, il les a. La campagne électorale pour les élections législatives a été menée comme une campagne présidentielle. Il s’est positionné comme candidat potentiel mais au même titre que les autres. Sous peine de sanctions, personne n’ose afficher publiquement ses ambitions présidentielles. C'est aussi prendre le risque d’être exclu du système. Et en dehors du système, c'est-à-dire sans soutien, il n’a aucune chance de devenir chef de l’État et même d’obtenir un quelconque poste dans l’administration, même locale. Le président ne veut pas de rival. Peut-être envisage-t-il de briguer un cinquième mandat ? Ahmed Ouyahia ne peut pas non plus aller à l’affrontement car il n’a pas de base populaire. Sans tout cela, il n’a aucune chance en 2019. Il compte sur le système pour succéder à Bouteflika. On ne sait pas non plus si ce dernier, qui est très malade et n’a pas prononcé de discours depuis 2014, ira au terme de son mandat. On se positionne donc mais à couvert. Pendant la campagne électorale, Ouyahia a d’ailleurs été accusé par le FLN de chercher à remplacer le chef de l’État.

Ahmed Ouyahia n’a jamais été mis en cause dans des affaires. Est-ce un atout pour 2019 ?

C’est son point fort ! Il dit fièrement qu’il n’a pas de casseroles. Son nom n’a jamais été cité dans un scandale de corruption ou une affaire judiciaire. Ça ne veut pas dire qu’il n’est pas lié aux hommes d’affaires. Ce n’est pas le cas de Tebboune qui était lié au scandale Khalifa [du nom de l'homme d'affaires Rafik Khalifa condamné à 18 ans de prison en 2015 pour "association de malfaiteurs", "vol", "faux et usage de faux"].

Il est présenté comme un réformateur, un libéral. Est-il susceptible de se lancer dans de grands chantiers de réformes comme dans les années 1990 ?

Il se définit lui-même comme le "Monsieur sale besogne". Il pourrait le faire mais ce n’est pas lui qui décide. Le contexte politique est difficile car l’Algérie est confrontée à une grave crise économique à cause de la baisse des recettes pétrolières. Or, le Premier ministre n’est qu’un coordinateur. Il n’a pas le pouvoir de lancer des réformes profondes sans l’aval du président. À moins de deux ans de la présidentielle de 2019, qui va oser lancer des réformes économiques avec un coût social qui sera forcément très élevé ? La fiscalité, le système bancaire ou la diversification de l’économie, on en parle mais on ne fait rien. On attend que la situation s’améliore sur le marché pétrolier, que les prix augmentent un peu. Depuis le début de l’année, le président Bouteflika a fait un seul Conseil des ministres. On voit mal comment lancer des réformes de grande envergure maintenant, alors qu’il ne l’a pas fait quand les caisses de l’Algérie étaient pleines et qu’il était en bonne santé. Les réformes, ça sera pour le prochain président.