Le journaliste français Loup Bureau, détenu en Turquie depuis 17 jours, pourrait être transféré dans une nouvelle prison située à des centaines de kilomètres de l'actuelle, selon son avocat, ce qui compliquerait très fortement sa défense.
L’étau se resserre pour Loup Bureau. Le journaliste indépendant français, interpellé le 26 juillet à la frontière entre l'Irak et la Turquie en possession de photos le montrant en compagnie de combattants kurdes syriens des YPG, pourrait bien être transféré dans une nouvelle prison dans l’est du pays selon son avocat, Martin Pradel. Une décision "scandaleuse", qui obligerait son avocat turc à faire dix heures de voiture pour le rencontrer, une grave entrave au travail de la défense.
Le reporter français est actuellement suspecté d'appartenance à une organisation terroriste. Il risque 30 ans de prison. Des éléments d'explication avec son avocat français, Martin Pradel.
France 24 : Comment les autorités turques justifient-elles ce transfèrement de prison ?
Martin Pradel : Officiellement, elles ne justifient rien. C’est une décision purement administrative, qui n’a pas de sens. On veut l’envoyer dans une prison dans l’Est, à Van, alors qu’il est poursuivi par le procureur de Sirnak et son affaire est confiée à un juge de Sirnak [une ville plus au sud, NDLR]. Quand on les interroge à ce sujet, les autorités turques indiquent que Loup Bureau sera détenu dans de meilleures conditions dans la prison de Van que dans son actuelle cellule. Mais nous n’avons jamais critiqué ses conditions de détention, Loup Bureau est correctement traité. Nous récusons uniquement les accusations de terrorisme dont il fait l’objet.
Un transfèrement de Loup Bureau rendrait le travail de son avocat turc plus difficile, car la proximité géographique est nécessaire pour défendre un client. L’éloignement est une entrave pour la défense car, en Turquie, la procédure peut être secrète et les avocats n’ont pas forcément accès tout de suite au dossier. La prise de connaissance des pièces se fait de manière progressive, ce qui nécessite un travail régulier avec le client pour affiner la défense.
S’il est transféré, son avocat devra faire dix heures de route en voiture pour lui rendre visite. Il ne pourra alors lui rendre visite qu’une fois par mois. Quant aux conversations téléphoniques et visioconférences, elles seront limitées car elles seront mises sur écoute, sans la protection du secret professionnel.
Loup Bureau sera isolé sur le plan juridique, mais aussi sur le plan psychologique. Son avocat, qu’il voit actuellement tous les deux jours, est son unique interlocuteur. On peut facilement imaginer l’impact sur son moral que peut jouer un tel transfèrement.
F24 : Est-ce que vous sentez les autorités françaises mobilisées sur le cas de Loup Bureau ?
Martin Pradel : Il y a une mobilisation certaine de l’ambassade, avec qui nous avons des contacts réguliers dans le cadre de la protection consulaire. Ce n’est pas à niveau-là qu’il y a une carence. Nous dénonçons qu’en ce 17e jour de détention, le fait que le ministre belge des Affaires étrangères ait manifesté son soutien et qu’aucune réaction du ministre française des Affaires étrangères ne soit à ce jour parvenue. Pas plus que le président, ni le Premier ministre, n’ont manifesté de quelconque soutien en privé ou en public.
Peut-être que les autorités françaises travaillent en sous-main, mais quand je vois la volonté de turque de transférer Loup Bureau, on se dit qu’il serait peut-être bon de revoir la méthode car elle ne porte visiblement pas ses fruits.
Et le début des vacances ministérielles est forcément une source d’inquiétude. Mais on espère quand même que dans un grand pays comme la France, les vacances du gouvernement ne signifient pas la vacance de l’État.
F24 : Que risque Loup Bureau ?
Martin Pradel : Il risque une peine de 30 années de prison. Le temps joue en sa défaveur : plus le temps passe, plus il devient difficile de le sortir de ce genre de procédure sans passer par un jugement. Actuellement, un procès n’est pas inéluctable. Il faudrait pour cela que les autorités françaises manifestent un peu de réprobation, que la France trouve le courage de fixer les limites de ce qui est inacceptable.
Le cas de Loup Bureau est très différent de celui de Mathias Depardon. Loup Bureau est accusé de terrorisme alors que Mathias Depardon faisait l’objet d’un ordre d’expulsion. Lorsqu’il a été arrêté, Mathias Depardon ne possédait que des photos de paysage dans son appareil photo, son travail n’avait pas de caractère politique. Le "tort" de Loup Bureau est d’avoir commis un reportage. Les autorités turques lui reprochent d’avoir réalisé un plan de coupe sur un leader de la cause kurde, une véritable provocation pour ce pays qui a du mal à concevoir une approche indépendante du journalisme. Là-bas, les arrestations de journalistes sont quotidiennes.
Malgré tout, Loup Bureau, qui est abattu par son incarcération, ne baisse pas les bras. Il a connaissance de la mobilisation qui s'organise autour de lui et de son impact. Il se sait soutenu.