logo

Rencontres d'Arles : "Iran 38", 38 ans de photographie iranienne à l'honneur

aux Rencontres de la photographie à Arles – Pour la première fois depuis longtemps, l’Iran est à l’honneur des Rencontres de la photographie d’Arles. Une exposition qui réunit 66 photographes avec un seul objectif : raconter l’Iran depuis la révolution islamique de 1979 au-delà des clichés.

Trente-huit années se sont écoulées depuis que la révolution islamique a chassé le shah. Trente-huit ans que l’Iran est devenu une théocratie et que montrer une femme sans voile est interdit.

À Arles, "Iran 38" attire chaque jour, aux rencontres de la photographie, un public partagé entre étonnement et émotion devant cet Iran inédit qui s’affiche sur les murs de l’église Sainte-Anne. "On a essayé d’éviter les clichés. On a surtout voulu s’éloigner de ce qu’on a vu jusqu’à présent. La sélection a été dure, mais nous avons voulu donner un panorama de l’Iran d’aujourd’hui", explique Anahita Ghabaian, galériste à Téheran et l’une des deux commissaires de l’exposition.

La sélection reflète également l’évolution dans la liberté de photographier depuis une quinzaine d’années, ajoute-t-elle. "La photographie est un moyen d’expression et de contournement. On a fait une large place à la guerre Iran-Irak mais aussi à la poésie avec un hommage [au cinéaste] Abbas Kiarostami et à l’espoir".

Tahmineh a fait le voyage depuis Téhéran pour enfin voir accrochées au mur les photos qu’elle ne peut pas montrer dans son pays. La jeune photographe a réalisé une série de portraits sur les transsexuels. Le changement de sexe, bien qu’il soit autorisé par la République islamique, demeure un tabou. "En Iran, on pourrait me reprocher de vouloir montrer les Iraniennes de manière négative. Ces femmes existent en Iran et j’ai voulu leur donner une identité en faisant leurs portraits et montrer leurs expressions", confie-t-elle.

Des photos de femmes mannequins ont déjà conduit la jeune femme en prison durant un mois il y a quelques années. De cette période, elle est sortie traumatisée, mais aussi déterminée à continuer la photographie. "J’ai acheté ma liberté en devenant photographe, en voyageant, en sortant faire de la photo dans les rues. La photographie est devenue politique, comme beaucoup de choses en Iran. Mais moi je ne pense jamais à la politique", assure-t-elle.

Pour les 66 photographes exposés, dont plus de la moitié a fait le déplacement, voir à Arles un travail d’habitude confiné à l’Iran est une grande fierté. Newsha Tavakolian, l’autre commissaire de l’exposition et unique femme photographe du Moyen-Orient à avoir intégré la prestigieuse agence Magnum, a pris le parti de mélanger toutes les générations de photographes pour mieux en illustrer la dynamique. Avec le recul, elle estime que la photographie a gagné en pouvoir et en légitimité en Iran : "C’est une excellente opportunité pour tous ici, de prendre de l’énergie et de retourner en Iran travailler."

Shadi Ghadirian est l’une des premières photographes plasticiennes iraniennes. Elle ne photographie quasiment que des femmes. Cette série, intitulée Qajar, mêle l'histoire de l’Iran avec son histoire contemporaine. Les femmes de la dynastie Qajar étaient reconnaissables à ces vêtements d’époque empruntés aux archives et à leurs sourcils épais. Beaucoup vivaient dans des harems. Sur cette photographie, les modèles posent avec des objets anachroniques comme une bicyclette, dont l’usage est interdit aux Iraniennes, et un poste de radio.

Nous sommes le 12 février 1979, au lendemain de la révolution islamique. Cette femme en tchador noir fait partie des nouvelles forces révolutionnaires occupant l’université de Téhéran, qui donneront naissance aux Gardiens de la révolution. Dans un geste de défi, elle oppose sa main à l'appareil du photographe qui veut l’immortaliser. Kaveh Kazemi, l’un des meilleurs photo-reporters iraniens, a constitué une collection rare de ce moment historique.

Dans cette série, intitulée "Vie d’aujourd’hui et guerre" et réalisée en 2008, la photographe Gohar Dashti cherche à montrer les impacts de la guerre Iran-Irak (1980-1988) sur la mémoire de la jeunesse iranienne. Ses photographies racontent l’histoire d’un couple dans sa vie quotidienne, sur fond de guerre. Elles évoquent une génération tiraillée entre cette guerre encore omniprésente dans l’imaginaire collectif et la menace de guerre permanente qui pèse sur l’Iran. Cette exposition a fait le tour du monde des galeries.

Photographe depuis 10 ans, Tahmineh s’est notamment interrogée sur la place des femmes dans son pays mais aussi sur celles des transsexuels et des laissés-pour-compte. Pour réaliser cette série, elle a réussi à gagner la confiance d’un groupe de jeunes transsexuels et de femmes toxicomanes dans le sud de Téhéran, s’invitant dans le quotidien chaotique de leur foyer social. Elle a été le témoin des overdoses et de la mort de certaines d'entre elles. Ces photos, dont le sujet est très sensible en Iran, ont entre autre conduit la jeune femme en prison durant trois semaines. Tina est la seule avec qui Tahmineh est toujours en contact. Aujourd’hui, elle est sevrée, travaille et vit dans un petit appartement à Téhéran.

Les rencontres photographiques d’Arles, jusqu’au 24 août.