
Le monde moderne n'a d'yeux que pour l'e-sport. Mais le sport tout court, lui, conserve tous ses défis, de santé publique comme d'intégration. Infrastructures, mobilier urbain, parcs, associations : il faut encourager l'effort physique.
Une amie à moi qui travaille à Pantin m'expliquait dernièrement comme il est difficile pour elle de s'intégrer dans son équipe de foot en salle, un groupe amateur avec lequel elle fait des passes de ballon à l'heure de la pause déjeuner. Car si sur le papier la séance est mixte, elle a lieu dans un endroit qui ne dispose que d'un vestiaire pour hommes. Les rares femmes à participer à cette heure de sport, elles, sont priées d'aller se changer dans les toilettes d'un restaurant avoisinant. "C'est un peu décourageant", concédait-elle, "ça rend le truc moins accueillant, on dirait qu'être une femme et vouloir faire du foot, c'est être trop insistante".
Cette anecdote est un cas parmi tant d'autres symptomatiques du chemin qui reste à faire en terme d'accessibilité, une mission qui revient aux collectivités locales. On le sait déjà : loin d'être une simple activité, le sport est un réel facteur d'inclusion sociale. "Sport-spectacle, sport de rue, sport de plein air, sport de groupe, sport individuel, etc. sont autant de problématiques que la géographie tente de cerner et d'interroger à travers différents spectres analytiques", écrivent Sylvain Lefebvre, Romain Roult et Jean-Pierre Augustin dans "Les nouvelles territorialités du sport dans la ville". Regardés à la télé depuis un bar PMU plein d'habitués, joués sur un terrain avec des camarades de classe ou pratiqués en compagnie d'un collègue dans un parc de la ville, le foot, le badminton et le jogging sont autant d'exemples d'activités fédératrices.
Elles font aussi du sport
On ne le sait que trop bien : aménager des espaces publics dédiés au sport est un vrai levier d'intégration. Pensez aux terrains de pétanque à Marseille comme au terrain de basket sur le canal Saint-Martin à Paris ou encore aux tables de ping-pong dans les squares. La pratique d'une activité physique est un véritable exutoire pour certains jeunes qui trouvent grâce à une association le moyen de se défouler, d'apprendre l'esprit d'équipe et de travailler sur leur persévérance. Surtout, plusieurs études ont montré que le sport pouvait favoriser la concentration et l'autonomie, deux qualités utiles à l'engagement d'un élève en classe. Le sport serait donc également efficace contre le décrochage scolaire, en plus d'être un excellent substitut à l'oisiveté et au désœuvrement pendant le temps libre.
Mais des infrastructures gratuites et des associations subventionnées suffisent-elles à rameuter tout le monde ? Haïfa Tlili, ingénieure d’étude à l’université Paris Descartes au sein du laboratoire Technique et Enjeux du Corps, que Mashable FR a rencontré lors du OuiShare Fest 2017, a conduit une étude sur la représentation et la pratique effective de l’activité physique chez les femmes des quartiers défavorisés. Alors que la pratique d'un sport est vécue comme une évidence chez bon nombre de garçons, elle apparaît moins primordiale chez les filles. Après avoir conduit de nombreux entretiens individuels, la sociologue est parvenue à dégager plusieurs pistes pour y remédier : donner la parole aux filles, leur proposer des rôles modèles, sensibiliser les parents... le tout pour que le sport soit associé au plaisir et au développement personnel.
Sport pour tous
Bien sûr, le rôle d'inclusion du sport ne se limite pas au genre. À Paris par exemple, il a été observé qu'un certain nombre de migrants tuaient le temps en faisant du street workout, ce sport qui emprunte autant à la gymnastique qu'à la musculation et se pratique grâce à des infrastructures en métal installées dans la rue. Avec la multiplication de ces dernières, une nouvelle structure a même émergé, la World Street Workout & Calisthenics Federation qui organise aujourd'hui fréquemment des rassemblements. Intéressant de noter qu'un véritable sentiment d'appartenance à une sous-culture lui a emboîté le pas, sous la forme d'un état d'esprit qui se définit comme différent de celui du culturisme (ses haltères et ses protéines) ou du fitness pour habitants des beaux quartiers (ses abonnements coûteux et son hygiène de vie portée en étendard).
Il y a aussi la question du sport chez les personnes handicapées et le défi de ne pas les laisser s'autocensurer. Il appartient par exemple au ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports de s'assurer de l’accessibilité universelle des grands événements sportifs et de soutenir financièrement la médiatisation des compétitions handisportives.
Plus récemment, on a également vu l'émergence d'associations LGBT utilisant le sport comme moyen de s'accepter et d'affirmer son estime de soi. À ce titre, la Fédération sportive gaie et lesbienne cherche à encourager l’accueil de tous les publics par la pratique du sport au sein de ses associations LGBT , dans un cadre bienveillant où l’orientation sexuelle, le genre, le sexe, l’âge, l’état de santé, etc. ne sont pas des sujets. " Dès le milieu des années 80, des sportifs lesbiennes, gays, bi et trans ont su réclamer le droit de pratiquer du sport ensemble, dans le non jugement, sans risquer d’essuyer insultes ou agressions. Ce sport s’est structuré en associations, en clubs et peu à peu, de nouvelles revendications ont vu le jour : droit à la mixité, lutte contre l’homophobie dans le sport, lutte contre les clichés sexistes", peut-on lire sur leur site. Genre, handicap, orientation sexuelle, milieu social, et même âge : sur ces différences qui doivent unir, le milieu associatif a su fédérer.
À la discrétion des communes
Le sport apparaît "comme un attracteur d'organisation sociale, une pratique d'invention de soi, un intermédiaire culturel de la mondialisation et une figure organisatrices des sociétés contemporaines, qu'il s'agisse des villes, des rapports ville-nature et des aménagements régionaux", peut-on également lire dans l'ouvrage cité plus haut, "Les nouvelles territorialités du sport dans la ville". Une ville peut-elle être agréable à vivre si la pratique du sport n'y est pas facilitée ou seulement réservée à une population assez riche pour aller s'enfermer dans un complexe haut de gamme ? La réponse est non. Mais alors, qui pour s'occuper du sport dans les villes ?
Pour les communes, l'investissement financier peut aller d'assurer l'éclairage public dans un parc afin de sécuriser les joggeurs à la construction de salles adaptées pour accueillir tous les sports de balle, le badminton et autres disciplines populaires.
Depuis 50 ans, la politique du sport en France s'articule autour de deux principes fondamentaux : "la délégation par l’État de l’animation et de la gestion du sport à des structures essentiellement associatives d’une part, et la solidarité au sein des fédérations entre le sport amateur et le sport professionnel d’autre part", peut-on voir résumé sur ce site d'information autour des collectivités territoriales. À l'échelle locale, ce sont les municipalités qui sont en charge des infrastructures, à la faveur des lois de décentralisation du début des années 1980 qui leur ont octroyé plus de latitude.
À part dans le cadre de la matière EPS, aucun texte ne contraint les communes à se saisir du domaine sportif. En revanche, elles demeurent tout de même le financeur principal du sport en France. En application de l’article L.212-29 du Code général des collectivités territoriales, "le conseil municipal règle, par ses délibérations, les affaires de la commune. Il donne son avis toutes les fois que cet avis est requis par les lois et règlements, ou qu'il est demandé par le représentant de l'Etat dans le département. Lorsque le conseil municipal, à ce régulièrement requis et convoqué, refuse ou néglige de donner avis, il peut être passé outre. Le conseil municipal émet des vœux sur tous les objets d'intérêt local." Ce qui revient à dire que la politique sportive et ses moyens alloués est à la discrétion de chaque assemblée délibérante. Une liberté qui explique donc les disparités d'infrastructures d'une commune à l'autre.
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