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Droits de douane : la méthode Modi, une stratégie payante face à Trump
De nouvelles négociations s'ouvrent cette semaine entre Washington et New Delhi pour trouver un terrain d’entente sur les droits de douanes punitifs de Trump, établis à 50 % dans certains secteurs stratégiques comme le textile ou la bijouterie. En refusant de plier face aux menaces américaines et en s’affichant aux côtés de Vladimir Poutine et Xi Jinping, Narendra Modi semble avoir forcé la main au locataire de la Maison Blanche. Une méthode risquée, mais qui pourrait s’avérer payante. 
Le président américain Donald Trump rencontre le Premier ministre indien Narendra Modi à la Maison-Blanche, à Washington (États-Unis), le 13 février 2025. © Kevin Lamarque, Reuters

Narendra Modi a reçu mercredi 17 septembre un drôle d’appel. À l’autre bout du fil, le président américain Donald Trump a souhaité un joyeux anniversaire au Premier ministre indien, qui fêtait ses 75 ans, dont 11 à la tête de la plus grande démocratie du monde. Quelques heures plus tard, le dirigeant indien se fendait d’un post sur X pour remercier son “ami”, se disait “pleinement engagé” dans un partenariat Inde-États-Unis et assurait soutenir les “initiatives” du président américain en faveur d’une “résolution pacifique du conflit en Ukraine”.  

Une conversation téléphonique qui n’a rien d’anodin, au lendemain de la reprise des négociations commerciales indo-américaines, après des semaines de froid glacial. Si les deux hommes ont longtemps affiché leur amitié, bras dessus bras dessous, la “relation spéciale” – pour reprendre les mots du locataire de la Maison-Blanche – entre les deux pays a désormais du plomb dans l’aile.  

Et pour cause, Narendra Modi a peu goûté les 25 % de droits de douane fixés par Trump en juillet 2025, censés servir à rééquilibrer une balance commerciale largement déficitaire, estimée à plus de 45 milliards de dollars. Il faut dire qu’entre la première campagne du républicain, en 2016, et son retour au Bureau Ovale en 2025, l’Inde a vu ses exportations vers les États-Unis quasiment doubler pour passer de 46 à 87 milliards de dollars.  

Une tension ravivée après des semaines de tables rondes infructueuses, entre lesquelles les deux leaders se lançaient toutes sortes de vacheries par posts interposés sur les réseaux sociaux. Après que Donald Trump a, une nouvelle fois, poussé le bouchon trop loin et jugé que le pays le plus peuplé au monde était une “économie morte”, Narendra Modi a refusé de répondre à quatre appels du président américain.  

Pis, les deux puissances économiques se sont engagées dans une véritable guerre commerciale. Parmi les terrains de dissension : un rapprochement entre Washington et Islamabad, jugé provocateur par New Delhi, et la volonté de Trump d’isoler Poutine – l'Inde refusant de cesser d’importer des hydrocarbures et des armes russes. Dans une surenchère trumpienne, les États-Unis avaient ainsi annoncé début août des droits de douanes additionnels de 25 %, portant les taxes totales à 50 % sur certains produits comme les bijoux, les crevettes ou encore les vêtements.  

"Trump et ses conseillers ne comprennent pas l'Inde"

Mais, contrairement à beaucoup de pays, et malgré le risque de perdre des centaines de milliers d’emplois dans ces secteurs stratégiques pour son économie, l’Inde n’a pas courbé l’échine. Prenant Trump à son propre jeu, un brin provocateur, Narendra Modi est allé jusqu’à s’afficher tout sourire aux côtés de Vladimir Poutine et de Xi Jinping lors d’un sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai à Tianjin le 1ᵉʳ septembre dernier.  

Un coup dur pour la diplomatie américaine, qui avait misé sur une coopération économique et géopolitique avec le Sous-Continent en guise de contrepoids avec la puissance régionale chinoise, pour qui l’Inde fait preuve d’une défiance millénaire.  

“Donald Trump et ses conseillers montrent ici qu’ils ne comprennent pas l’Inde : Narendra Modi est un homme à l’ego presque aussi énorme que celui du président américain”, analyse l’économiste Santosh Mehrotra. “Il sera difficile de réparer ce qui a été cassé et tout cela a lieu alors que se joue en coulisse un rapprochement économique avec l’Union européenne”, poursuit le chercheur à l’Université Jawaharlal-Nehru de New Delhi. Le professeur note par ailleurs que l’Inde n’est ni membre de l’Otan, ni protégée par le parapluie nucléaire américain et moins sensible aux menaces d’ordre géopolitique.  

Depuis son indépendance en 1947, le pays cultive son statut de puissance non-alignée, quitte parfois à s’isoler sur la scène internationale. Santosh Mehrotra estime toutefois que Modi sera prêt à négocier avec Trump à condition de ne pas franchir trois lignes rouges clairement définies par New Delhi : “l’empêcher d’acheter du pétrole à qui elle souhaite, lui reprocher de maintenir des relations multipolaires avec de multiples alliés et s’en prendre à son agriculture”.  

L’agriculture indienne, point de blocage des négociations

Or, c’est bien sur ce troisième point que le bât blesse. Donald Trump a conditionné la réduction des droits de douane à l’ouverture du marché indien aux produits agricoles américains, mais New Delhi sait aussi jouer du protectionnisme lorsque qu’il s’agit de protéger son secteur primaire, dans lequel sont employés 40 % de ses actifs. “Si Narendra Modi touche aux agriculteurs, il s’assure une révolte populaire”, résume Santosh Mehrotra. 

Le temps presse : les 50 % de droits de douanes, entrés en vigueur le 27 août dernier, pénalisent autant l’Inde que les États-Unis, friands de produits à bas coût. “New Delhi est prêt à baisser les droits de douane sur certains secteurs moins sensibles, mais il n’y aura aucun ‘deal’ si Washington ne lâche pas du lest”, fait valoir Ajay Srivastava, ancien négociateur commercial pour l’Inde à l’OMC. Tout en relativisant le rapprochement apparent avec Pékin : “il faut aussi penser l’après-Trump : la Chine reste un partenaire purement transactionnel, sans attachement émotionnel, dont nous ne voulons pas apparaître trop proches”.  

En refusant de céder aux droits de douane punitifs et aux injonctions américaines, Narendra Modi a réussi à inverser le rapport de force. Ce sont désormais les négociateurs de Washington qui ont pris l’avion pour New Delhi, preuve que la fermeté indienne peut peser autant que les flatteries adressées à Donald Trump par d’autres chancelleries.

Avec AFP