Plus que quelques heures avant de connaître le palmarès du Festival de Cannes 2017... En attendant le verdict du jury de Pedro Almodovar, voici notre palmarès annuel des prix qui ne seront pas distribués mais mériteraient de l’être.
C'est sur un sprint que s'est achevé le marathon de la compétition cannoise, samedi 27 mai. Ultime pointe d’accélération assurée par Lynne Ramsay et son "revenge polar" impulsif qui a d’ores et déjà gagné la Palme du titre le plus long, "You were never really here" (littéralement, "Tu n’as jamais vraiment été ici"). Le film – et c’est déjà une qualité en soi – ne dure qu’une heure et demie. Il oscille entre moments de grâce (le début est magnifique) et oniriques séquences au symbolisme pompier.
Dans le rôle principal, Joaquin Phoenix livre une prestation sacrément robuste. L’acteur américain incarne un vétéran de la guerre d’Irak chargé de sauver une petite fille des griffes d’un réseau pédophile. Mission qu’il va tenter d’accomplir à l’aide d’un marteau, son arme de prédilection. Le gars est sûr, mais un tantinet plus brutal et psychotique que "Le Samouraï" de Jean-Pierre Melville, film matricielle du tueur à gages solitaire.
"You were never really here" pourrait très bien figurer au palmarès. La Palme ? Ce serait exagéré. Prix de la mise en scène ? Pourquoi pas… Le prix d’interprétation pour Joaquin Phoenix serait mérité mais, comme nous l’avons déjà signalé, la concurrence est rude.
À quelques heures de la cérémonie de clôture, difficile donc de deviner à quelle sauce seront mangés, dimanche soir, les 19 films de la compétition de ce 70e Festival de Cannes. À défaut de pouvoir lire dans les pensées du jury de Pedro Almodovar, nous vous délivrons les nôtres. Comme chaque année, voici notre palmarès des prix qui ne seront pas distribués mais mériteraient de l’être.
- La "Palme Kid" de la meilleure performance juvénile
Parce qu’il vieillit, le Festival de Cannes craint de devenir gâteux. Désormais septuagénaire, la compétition s’est pour l’occasion offert un bon bain de jouvence en programmant pas moins de six films où l’enfance joue un rôle crucial. Il y a eu d’abord les mômes fugueurs du sympa "Wonderstruck" (de Todd Haynes) et du moins sympa "Loveless" (d’Andrey Zvyagintsev). Puis vint l’entêtée Mija, petite fille de la campagne sud-coréenne prête à courir le monde pour sauver son cochon "Okja" d’un massacre agroalimentaire. Les enfants sont courageux, les enfants sont formidables.
Mais ils peuvent aussi être inquiétants (pour ne pas dire flippants). La petite Eve de "Happy End" est aussi joviale que le cinéaste l’ayant mis en scène (on aura reconnu Michael Haneke), l’ado envahissant de "Mise à mort du cerf sacré" ferait, quant à lui, passer les petites têtes blondes du "Villages des damnés" pour d’adorables bambins. Et on ne vous parle pas des sombres années qui attendent Nina dont l’enfance a été sordidement brisée dans "You were never really here". En ces temps troublés, les cinéastes cannois ne semblent même plus croire en l’âge de l’innocence. Tant d’espérance placée dans le genre humain fait plaisir à voir.
Notre "Palme Kid" revient toutefois à une toute jeune actrice qui ne figure pas dans un film en compétition. Dans le très prisé "The Florida Project", que nous avons pu enfin voir après plusieurs infructueuses tentatives, une petite fille de 6 ans illumine l’écran par sa gouaille insolente. Elle est magnifique. Elle s’appelle Brooklyn Prince. Rien que son nom est superbe.
- La "Palme Pig" de la meilleure performance porcine
On connaît tous la désormais célèbre Palme Dog qui honore la meilleure performance canine du Festival. Cette année, c’est Bruno, le grand-caniche-blanc-à-sa-mémère de "The Meyerowitz Stories" qui a remporté le concours. Bravo, Bruno ! Le Festival aurait toutefois été bien inspiré de profiter de cette édition anniversaire pour créer une Palme en l’honneur d’un animal particulièrement représenté cette année : le cochon.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le sus scrofa domisticus - de son nom savant -, nous a beaucoup émus. Même lorsqu’il atteint des dimensions anormalement gigantesques, comme Okja, le "super cochon" génétiquement modifié de la formidable fable écolo du Bong Joon-ho, on a envie d’avoir le même à la maison.
On a été secoué aussi par le sort réservé à cet autre cochon qui, au début de "Happy End", subit une overdose médicamenteuse. Bon, d’accord, on triche puisqu’il s’agit d’un cochon d’Inde mais cela n’enlève rien à la tristesse qui nous assaille.
Mais, là encore, c’est hors compétition que nous sommes allés chercher notre coup de cœur porcin. C’est même au marché du film que nous l’avons trouvé. On ignore son nom mais on sait qu’il a eu la chance de jouer aux côtés de Gérard Depardieu, paraît-il, bouleversant de tendresse dans cette comédie familiale bulgare très justement intitulée "Mon cochon et moi". Aucune sortie en salles n’est prévue pour l’instant. Netflix doit être sur le coup.
- Le prix "Adam et Eve" du plus beau nu
Que de nu, dites-donc, cette année sur les écrans du Festival ! Hommes, femmes, cochons, tout le monde à poil ! Même les grandes vedettes internationales s’y sont mises, à l’instar de Nicole Kidman qui, dans "Mise à mort du cerf sacré", se donne toute entière et comme inanimée à son mari chirurgien, visiblement très friand des ébats sous anesthésie (bizarre, le mec).
Reste que ce sont ces sacrés fripons de Français qui restent les champions de l’effeuillage. Aussi, dès le début de la quinzaine, aurons-nous vu Marion Cotillard dans le plus simple appareil ("Les Fantômes d’Ismaël"). Mais aussi Louis Garrel dans une amusante scène à poil du pastiche faussement godardien "Le Redoutable". Enfin, citons, "L’Amant double" qui, comme tout bon thriller érotique qui se respecte, met littéralement à nu le duo Marine Vacth-Jérémie Renier dans de troubles scènes d’amour à plusieurs. Aucune pudeur, ces Français.
Mais notre plus beau nu reste toutefois celui d’Honoré de Balzac dans "Rodin". Oui, Honoré de Balzac que le sculpteur, alors en pleine remise en question artistique, représenta avec le ventre d’une femme enceinte. Au grand dam des héritiers de l’écrivain qui ne comprirent pas alors que c’est le génie créatif d’un homme capable d’accoucher d’une œuvre monumentale que Rodin voulait célébrer…
- Le prix "Auto Plus" de la meilleure course poursuite en Citroën XM
Parce que nous n’avions pas vu de Citroën XM au cinéma depuis les comédies de Gérard Jugnot (époque moustache), on ne peut que saluer l’audace du réalisateur hongrois Kornel Mundruczo d’avoir remis au goût du jour ce fleuron de l’automobile française. Dans "Jupiter’s Moon", c’est au volant du bolide tricolore que le héros parvient à semer une colonne de voitures de police à ses trousses. Le film est sûrement l’une des plus grosses déceptions de la compétition, mais ce geste en faveur du "Made in France" vaut bien un prix.
-Le prix "M’as-tu-vu" du meilleur moyen de se faire remarquer sur la Croisette
Parce que l’audace n’est jamais assez récompensée, décernons le prix "M’as-tu-vu" à cette inconnue du tapis rouge qui serait passée totalement inaperçue si elle n’avait eu la brillante idée de venir défiler avec une couronne mortuaire autour du visage. Un moment de grâce immortalisé par notre photographe Mehdi Chebil.
-Le prix "Inception" du meilleur film dans le film
À Cannes, on voit des films mais aussi des films dans les films. Du cinéma-méta dont les réalisateurs usent - et parfois abusent - pour démontrer leur faculté à réfléchir sur l’art qui les fait vivre. Un auteur questionne son (et notre) rapport à l’image, il ne produit pas que du cinéma, il produit aussi sur le cinéma.
Michael Haneke ne fait pas autre chose quand il ouvre "Happy End" sur une morbide scène tournée à la manière d’un Facebook Live (en mieux filmé quand même). Idem pour Andrey Zviagintsev qui, dans "Loveless", multiplie les scènes de grotesques selfies où les personnages s’érigent en cinéastes de leur propre vie.
Plus compliqué, dans "Les Fantômes d'Ismaël", Arnaud Desplechin met en scène un réalisateur, c’est-à-dire lui-même, en train d’écrire un film, lequel film s’immisce dans le film le montrant en train d’écrire (vous suiviez ?). Quant à l’histoire de "Wonderstruck", elle se dédouble quasiment en deux versions, l’une en couleur, l’autre en noir et blanc.
Pour nous, le meilleur film dans le film est "Pagina Man", l’histoire d’une super-héroïne qui a le pouvoir de faire pipi debout depuis qu’elle s’est dotée d’un sexe d’homme. L’œuvre est signée Eliza Meyerowitz, la petite dernière de la famille de "The Meyerowitz Stories". On espère que le film verra vraiment le jour. Peut-être sera-t-il même sélectionné à Cannes. Et fera l'objet d'un article sur ce site. Trop méta, comme concept.