
Le président Donald Trump est accusé d’avoir donné un feu vert implicite au roi de Bahreïn, qu’il a rencontré à Riyad, pour accentuer la répression contre ses sujets chiites. Ces derniers sont au centre de nouvelles tensions sectaires dans le pays.
Donald Trump a-t-il indirectement encouragé le roi de Bahreïn à accentuer la répression contre ses sujets chiites ? La question est désormais ouvertement posée depuis quelques jours au sein de cette communauté, majoritaire dans le pays. Mardi 23 mai, les forces de sécurité ont tiré à balles réelles contre des manifestants près de la capitale Manama, et ravivé les tensions sectaires au Bahreïn.
Une opération, visant à démanteler un sit-in observé dans le village chiite de Diraz, qui s’est soldée par la mort de cinq personnes tandis que des dizaines d’autres ont été blessées.
La population chiite au Bahreïn est l’objet d’une politique répressive implacable depuis qu’elle s’est soulevée pour réclamer des réformes constitutionnelles à son monarque sunnite Hamad ben Issa Al Khalifa, à la faveur des révoltes arabes du printemps 2011. Une contestation sévèrement réprimée avec l’aide des voisins du Golfe, l’Arabie saoudite en tête, qui voyaient dans ce mouvement une tentative iranienne d’instrumentaliser les chiites au Bahreïn.
Le roi du Bahreïn revient en grâce auprès de Washington
L’opération sécuritaire de Diraz a eu lieu 48 heures après la rencontre, à Riyad, entre Hamad ben Issa al-Khalifa et Donald Trump. Le président américain, qui a effectué une visite riche en symboles en Arabie saoudite, où il s'en est durement pris à l'Iran qu’il a accusé d'attiser les conflits dans la région, a rassuré le monarque sur l’état des relations entre Washington et Manama.
"Nous allons avoir une relation de très, très long terme. J'en suis très impatient. Nous avons beaucoup de choses en commun", a glissé le milliardaire américain lors d'une séance photos avec le roi.
L’administration Obama avait critiqué à plusieurs reprises la situation en matière des droits de l’Homme dans le royaume. L’ancien président américain avait même décidé de geler la vente de chasseurs F-16 au Bahreïn en raison de ces préoccupations, alors même que la monarchie abrite la Ve flotte américaine. Une vente estimée à 5 milliards de dollars que la nouvelle administration Trump s’est empressée de débloquer en mars dernier.
"Les droits de l’Homme importent peu à Donald Trump"
"Il est clair que le timing de cette opération sécuritaire est lié à la rencontre entre le président américain et le monarque bahreïni, estime Radhi al-Moussaoui, cadre et ancien secrétaire général de l’Action nationale démocratique de Bahreïn (le mouvement d’opposition Waad), interrogé par France 24. Nous savons que les droits de l’Homme importent peu à Donald Trump, qu’il ne s’agit pas d’une question essentielle de son point de vue, a fortiori lorsqu’il est question de faire des affaires et de vendre des armes en échange de plusieurs milliards de dollars".
Un avis que partage le Centre des droits de l’Homme de Bahreïn. "Trump a donné au roi un chèque en blanc pour poursuivre la répression contre son peuple, a accusé l’ONG. L'administration américaine a du sang sur les mains en fournissant sans conditions des armes au régime de Bahreïn".
Le sort du chef spirituel chiite au cœur des tensions
L'ONG reproche au pouvoir bahreïni d’avoir fait usage d’une force disproportionnée, le 23 mai à Diraz, contre les partisans de celui qui est considéré comme le chef spirituel des chiites du pays, le cheikh Issa Qassem. Fervent critique de la monarchie, il a été condamné, il y a moins d'une semaine, à un an de prison avec sursis pour collecte illégale de fonds et blanchiment d'argent.
Accusé d'avoir "abusé de sa position pour servir des intérêts étrangers (...) et incité au sectarisme et à la violence", en clair d’être un agent iranien, le cheikh Issa Qassem a été déchu de la nationalité bahreïnie en juin 2016. Une décision qui a été le point de départ du sit-in organisé par ses partisans.
Officiellement, le pouvoir nie toujours mener une politique discriminatoire envers les chiites. Ainsi, le ministère bahreïni de l'Intérieur a expliqué que le sit-in visé par les forces de l’ordre était "devenu un repaire pour des hors-la-loi et des personnes recherchées par la justice". Plus de 280 personnes, dont certaines avaient lancé des projectiles contre les policiers, ont été arrêtées à la suite des opérations sécuritaires.
La contestation risque de s’étendre à tout moment, des photos diffusées sur les réseaux sociaux montrant des manifestations organisées dans des villages chiites voisins en soutien à la population de Diraz.
De son côté, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Jawad Zarif, dont le pays est accusé de s’ingérer dans les affaires de cette petite monarchie, a déploré que "le premier résultat concret" des entretiens de Donald Trump à Riyad soit "l'attaque meurtrière par le régime bahreïni contre des manifestants pacifiques".
À Washington, un responsable du département d'État cité par l'AFP a fait part de la "préoccupation" des États-Unis et a "appelé toutes les parties à la retenue".
L’ONG Amnesty International, qui dénonce fréquemment la violation des droits de l'Homme au Bahreïn et les vexations systématiques infligées à l’opposition, a appelé à une enquête indépendante sur l'usage "excessif de la force" contre les manifestants qu'elle a qualifiés de pacifiques.