La réalité virtuelle (VR) n’en est encore qu’à ses balbutiements. Mais les perspectives d’évolution sont nombreuses, notamment du côté des univers parallèles virtuels : les metaverses.
Souvenez-vous de "Second Life". Sorti en 2003, ce jeu en ligne était annoncé comme le monde virtuel qui révolutionnerait nos vies. Le concept tient dans le nom : un espace de jeu multijoueur, relativement réaliste, où chacun pourrait avoir une "seconde vie" qu’il mènerait comme bon lui semble. "Second Life" fait la Une des médias entre 2006 et 2007 – des partis politiques, certains publicitaires ou l’agence de presse Reuters avaient même créé des antennes dessus – mais malgré ses succès, le jeu fait aujourd’hui figure de dinosaure. Les marques l'ont déserté, les médias s'en sont désintéréssés et, globalement, la bulle "Second Life" a explosé.
Mais "Second Life" a popularisé un concept qui n’est pas mort, loin s’en faut : celui de metaverse ("métavers" en français), un méta-univers, un monde virtuel fictif, un cyberespace où chacun incarnerait un avatar lui permettant d’afficher une personnalité et d’interagir socialement.
Il n’existe pas de définition unique et absolue du ou des metaverses. Le terme a été inventé par Neal Stephenson dans son roman "Le Samouraï virtuel", paru en 1992. Palmer Luckey, créateur d’Occulus VR, le décrit comme "un monde digital parallèle qui existe à côté du nôtre, [nous permettant] de communiquer avec d’autres personnes, de jouer avec d’autres personnes". Selon une des définitions alambiquées du groupe de recherche Metaverse Roadmap, il s’agirait "de la fusion entre un espace virtuel en 3D amélioré et un espace physique constant dans un univers virtuel".
Compliqué, mais passionnant. Pour la simple et bonne raison que, grâce au développement de la réalité virtuelle, nous n’avons jamais été aussi proche de l’avènement du metaverse, l’univers parallèle virtuel qui les gouvernera tous, comme aurait dit Tolkien. Alors, à quoi ressemblera-t-il ?
Le metaverse de l’Internet
Concernant le futur le plus proche, c’est évidemment vers Internet qu’il faut se tourner. Pas celui que nous connaissons, avec ses pages à scroller et son architecture en HTML. Nous parlons d’un Internet immersif, où nous pourrions nous plonger dans une page Web comme on se met à l’eau en utilisant simplement un casque VR assis devant son ordinateur.
Il s’agit du WebVR, le Web en réalité virtuelle. Le premier géant de l’Internet à s’être lancé dans l’aventure est la fondation Mozilla, en septembre dernier, avec le lancement de sa librairie open source A-Frame et son API. Depuis, Google, Samsung, Microsoft ou Occulus ont annoncé investir dans le WebVR. Mercredi 12 avril, Google a dévoilé ses premiers projets "WebVR Experiments", disponibles directement à partir de Chrome. Pour le moment, il ne s’agit que d’un ensemble de jeux et de programmes basiques, mais le WebVR pourrait prendre une certaine ampleur rapidement.
En effet, le WebVR a deux avantages. Le premier, c'est qu'il suffit de piocher dans les milliards de pages Web qui existent déjà pour trouver tous les contenus possibles pour le WebVR. Seule l'adaptation technique à la réalité virtuelle est nécessaire pour rendre l’expérience complète. Par ailleurs, les développeurs peuvent directement mettre en ligne leurs créations en Javascript, sans passer par les entreprises finançant les casques VR.
"C’est une partie de l’évolution naturelle [du Web], une extension de la façon dont nous nous connectons avec les autres et le monde autour de nous. Ces dernières années, nous avons vu une prolifération de paradigmes qui s’unissent pour créer le metaverse. (…) Tout ceci a le potentiel d’améliorer l’apprentissage, l’expression créative ou la pensée critique dans le monde entier", explique Sean White, vice-président de la cellule "Technologies émergentes" de Mozilla au magazine VentureBeat.
Plusieurs start-up se sont également emparées de l’idée, comme les Français de LucidWeb. Dans un article du même magazine, Thomas Balouet, cofondateur de l’entreprise, explique comment il envisage le metaverse et sa relation avec le Web en réalité virtuelle : "Vous connaissez ce sentiment, quand vous allez sur Internet pour regarder une recette de cookies et que vous vous retrouvez, deux heures plus tard, à lire un article sur la Patagonie sur Wikipédia ? Eh bien imaginez mettre votre casque pour regarder quelque chose de relaxant et vous retrouver, quinze minutes plus tard, en train de parler à des amis au sommet d’une montagne ou en train de survoler votre ville de naissance. C’est ce que le metaverse pourrait être, et ce type de situations ne serait possible que grâce à des liens profonds, un endroit emmenant à un autre et étant relié au premier (…) Seul le WebVR peut permettre ça."
Envie d'acheter une voiture ? Vous êtes directement catapulté devant cette même voiture. Ou besoin d’en apprendre plus sur la culture japonaise ? Vous voici au milieu d’une salle d’école japonaise virtuelle. C’est l’idée sous-jacente au Web en réalité virtuelle, qui mélange liberté de création propre à Internet, immersion et sociabilisation.
Demain, nous n’irons plus sur Facebook mais dans Facebook
Lorsqu’on pense sociabilisation sur Internet, on pense évidemment aux réseaux sociaux. Le WebRV est ainsi intimement lié à la création d’un autre concept : la réalité virtuelle sociale. Le mardi 18 avril, Facebook a ainsi révélé son projet de VR sociale, déjà disponible dans une version bêta pour les développeurs sur Occulus. Facebook Spaces, c’est trois choses : un espace virtuel pour passer du temps avec ses amis, des avatars 3D personnalisables créés à partir de notre photo de profil Facebook et une intégration du chat vidéo et des images en 360°. Un univers virtuel à part entière, donc.
Le géant des réseaux sociaux compte frapper fort avec ce nouvel espace et a déjà investi plus de 250 millions d’euros dans le développement de la réalité virtuelle sociale. Mais il n’est pas seul sur le marché : un véritable combat entre plateformes est en cours pour déterminer laquelle deviendra le metaverse du futur. Actuellement, AltspaceVR est le leader du marché. Mais il existe également High Fidelity, créé par Philip Rosedale, fondateur de Second Life et défenseur du concept de metaverse. On pourrait aussi évoquer JanusVR ou encore Occulus Rooms, lancé en décembre dernier.
Le metaverse sera un regroupement de quatre critères : les mondes virtuels, les mondes miroirs, la réalité augmentée et le lifelogging.
Parmi ces nombreuses applications, il en est une qui pourrait tirer son épingle du jeu. "Sansar", toujours en cours de développement, est à l’initiative de Linden Lab – l’entreprise propriétaire du jeu "Second Life". Sansar se distingue de ses concurrents en donnant une marge de manœuvre plus grande aux utilisateurs. Dans les autres plateformes, les usagers sont soumis aux choix des développeurs dans un ersatz de monde réel. Dans Sansar, l’utilisateur se retrouve dans un monde plus onirique, teinté de science-fiction.
Tout comme le WebVR, la réalité virtuelle sociale n’en est qu’à ses balbutiements. D’abord parce que les casques de VR sont encore peu accessibles au grand public – au vu du coût du casque et de la nécessité d'avoir un ordinateur de qualité pour s'en service, principalement. Ensuite, parce que les graphismes et les possibilités d’usage proposées par ces diverses interfaces sont encore trop limitées. Comme le note Adario Strange sur Mashable, "la communauté de la VR sociale est encore petite, faites de groupes soudés et composés de pionniers, comme lors des premiers jours de l’IRC ("Internet relay chat") qui offrait un vibrant mais inconnu lieu de rencontre entre personnes, juste avant l’explosion du web".
Le metaverse du futur par des futurologues
Quel sera le metaverse du futur, celui qui emportera l'assentiment du grand public ? De nombreuses entreprises se battent pour être celle qui répondra à cette question, pour trouver le bon concept. Des passionnés et professionnels des nouvelles technologies réfléchissent aussi sur la réflexion autour du metaverse qui finira par émerger. Notamment le groupe Metaverse Roadmap depuis 2007, un projet propulsé par l'ONG Acceleration Studies Foundation, elle-même créée par le futurologue et speaker John Smart, qui a publié une étude sur le sujet.
Selon ce groupe, le metaverse du futur sera un regroupement de quatre critères : les mondes virtuels, les mondes miroirs, la réalité augmentée et le lifelogging. Les mondes miroirs, c'est la possibilité de transposer notre monde réel dans un univers virtuel cohérent, qui lui ressemble. À l'inverse, les mondes virtuels sont purement fictionnels. La réalité augmentée comme le lifelogging, littérallement "carnet de vie" en français, supposent la possibilité d'implémenter des choses réelles (des sons, des objets, des attitudes) pour les retransmettre dans un monde virtuel, selon la terminologie du Metaverse Roadmap. Ainsi, la réunion de ces critères dans un juste milieu permettra de créer le "monde parallèle virtuel ultime", estime Jamais Cascio, futurologue et coauteur de l'étude, joint par Mashable FR. "Peut-être pas de la manière que la plupart des gens imaginent. Si nous nous limitons à des technologies que nous pouvons imaginer à un niveau fonctionnel actuellement, une réalité virtuelle totale serait un echo implet du monde réel, manquant des éléments véritablement importants", affirme-t-il.
Le WebVR et la VR sociale permettront-ils de propulser le metaverse du futur ? "Probablement. Ma philosophie générale à propos des technologies innovantes est celle-ci : être assez peu chère pour que les gens puissent s'en emparer, être assez évidente pour qu'elles soient faciles à utiliser, qu'elles ne sapent pas vos autres tâches quotidiennes et qu'elles vous apportent du plaisir", explique Jamais Cascio. Il est clair que l'intérêt récent des grandes entreprises dans le concept de metaverse et de monde social virtuel tend à faire penser que le metaverse du futur n'est plus très loin. Reste à savoir si nous sommes prêts à plonger dedans.
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