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Attentat à trois jours du vote : ne mangeons pas de ce pain béni pour la droite sécuritaire

La fusillade sur les Champs-Élysées, à trois jours du scrutin, a immédiatement été récupérée par Marine Le Pen et François Fillon. Son timing est malheureux, à quelque 24 heures de la fin de la campagne officielle.

Quel étrange hasard que celui d'une fusillade sur les Champs-Élysées, le soir-même du dernier round télévisé pour les candidats à la présidentielle et à seulement trois jours du premier tour. Quel amer timing, quel drôle d'agenda. Car voilà d'un coup les thèmes du terrorisme, du sort réservé à la police nationale et de la laïcité, propulsés sans ménagement dans les conversations du jour tandis que le pays s'apprête à aller glisser un bulletin dans l'urne. A fortiori parce que ce vendredi signe le dernier jour officiel de la campagne électorale. On ne pouvait pas espérer pire, pour échauder les esprits et aiguiser les propos sécuritaires de certains candidats.

Marine Le Pen, surtout, doit y voir un incroyable cadeau rhétorique. "La guerre qui nous est menée est une guerre asymétrique, une guerre révolutionnaire", écrit la dirigeante du Front national dans son "Appel aux Français pour vaincre le terrorisme" envoyé vendredi 21 avril, au lendemain de l'attaque terroriste. L'occasion pour la candidate de rappeler quelques une de ses propositions : "L'expulsion immédiate des fichés S étrangers", "l’engagement de procédures accélérées de déchéance de nationalité pour les fichés S binationaux et leur expulsion immédiate dans leur pays d’origine" ainsi que "l’engagement de poursuites pour intelligence avec l’ennemi des fichés S de nationalité française". 

Récupération politique chez les uns, volonté d'apaisement chez les autres

"Remettre la France en ordre", promet-elle. Pas comme "les gouvernements de droite et de gauche" à cause de qui la "guerre (qui) nous est menée sans pitié et sans répit" est en train d'être perdue. Sur le compte Twitter de Marine Le Pen, les mots "laxisme judiciaire", "financement des mosquées", "prêcheurs de haine" s'égrennent déjà sous des dizaines et des dizaines de tweets, parfois accompagnés du hashtag #ChampsElysees. Même ambiance du côté de François Fillon, qui n'a pas perdu le Nord, d'abord en annonçant sans fondement que d'autres violences avaient lieu à Paris (ce qu'il a réitéré vendredi matin, au micro de Quotidien), puis en proposant d'interrompre la campagne "parce que nous devons manifester notre solidarité avec les policiers". Sur France 2, celui qui a été le Premier ministre de Nicolas Sarkozy en a ensuite profité pour rappeler la déchéance de nationalité pour "intelligence avec l'ennemi" de tous les suspects. Dur, dans ce contexte, de ne pas penser que l'attaque des Champs-Élysées est tombée à pic pour le Front national et Les Républicains.

"Résistons aux sirènes insistantes des raccourcis et analyses xénophobes de comptoir"

Car pendant ce temps-là chez les autres principaux candidats à la présidentielle, le ton était déjà plus mesuré. S'il dénonce un "attentat (qui) a pris pour cible notre démocratie, la République, notre manière de vivre ensemble", Benoît Hamon a également affirmé "refuser que l’on joue à diviser les Français.es" et "croire en notre identité mosaïque", sur le plateau de Jean-Jacques Bourdin. Emmanuel Macron, lui, a tenu à rappeler une de ses mesures pour l'intérieur : "10 000 emplois de policiers et de gendarmes seront créés durant le prochain quinquennat" tout en rappelant l'importance de "notre unité" et "notre cohésion". Et le candidat d'En marche de préciser, comme pour répondre à François Fillon, qu'il n'a "pas voulu interrompre notre campagne présidentielle car notre démocratie est plus forte".

Et c'est sans doute sur le compte Twitter de Jean-Luc Mélenchon que l'on retrouve le vocabulaire le plus prudent. Pas de communautarisme ou d'islamisme pointé du doigt : le candidat du Front de gauche préfère parler de "violents" et de "criminels". Avant de se lancer sur une anaphore : "Nous serons d'autant plus unis que nous ne seront plus divisés par la misère et les inégalités", "Nous serons d'autant plus unis si nous ne sommes pas dans la main d'une caste de puissants qui décide de tout" ou encore "Nous serons d'autant plus unis avec un grand projet en commun : la transition écologique et l'harmonie avec la nature et les animaux", a-t-il tweeté après avoir proposé de continuer la campagne.

Une fin de campagne qui s'annonce secouée

La veille et le jour du scrutin, "le débat électoral est suspendu à la télévision et à la radio" et que les médias en ligne sont encouragés à se mettre au diapason, comme le prévoit le code électoral, alinéa 2 de l’article L49, afin d'éviter d'influencer les électeurs à travers des sondages ou des propos de campagne de dernière minute. Mais la période de réserve peut difficilement être imposée sur les réseaux sociaux. Dans ce contexte, il y a fort à parier que l'attentat des Champs-Élysées continue à être commenté sur Facebook et Twitter, notamment sous l'impulsion de militants frontistes ou républicains.

Il n'a pas fallu attendre lontemps avant de voir émerger un tweet sponsorisé, dès jeudi 20 avril au soir, publié par un conseiller municipal FN d'Arcueil qui enjoint à voter Marine Le Pen :

Et allez tweet sponsorisé carrément ! C'est le concours de la récupération la plus gerbante en fait ? pic.twitter.com/y4ULErsUru

— Emmanuel Domenach (@EDomenach) 20 avril 2017

Résister aux sirènes insistantes des raccourcis et analyses xénophobes de comptoir, voilà ce que l'on peut souhaiter de mieux aux électeurs. Un peu comme aux États-Unis, où les déclarations de la NRA ne sont jamais aussi nombreuses qu'après une tuerie, les bons petits soldats du sécuritarisme risquent d'assiéger la conversation publique. Espérons faire mentir Donald Trump, qui, de l'autre côté de l'Atlantique, a jugé essentiel de livrer son analyse de la situation.

Another terrorist attack in Paris. The people of France will not take much more of this. Will have a big effect on presidential election!

— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 21 avril 2017

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