En affirmant, dimanche, que l’État français n’était pas responsable de la rafle du Vél d’Hiv, Marine Le Pen a créé la polémique en remettant en cause la responsabilité française dans la déportation des juifs, reconnue par Jacques Chirac en 1995.
Marine Le Pen n’avait-elle pas anticipé les réactions que ses déclarations sur la rafle du Vél d’Hiv susciteraient ? Quelques heures après avoir déclaré, dimanche 9 avril, que "la France n’est pas responsable du Vél d’Hiv", la candidate du Front national à l’élection présidentielle s’est en tout cas senti obligée, face au tollé qu’elle venait de provoquer, de publier un communiqué de presse pour dénoncer une "instrumentalisation politique".
"Comme Charles de Gaulle, François Mitterrand, ou encore de nos jours Henri Guaino, Jean-Pierre Chevènement, ou Nicolas Dupont-Aignan, je considère que la France et la République étaient à Londres pendant l'Occupation, et que le régime de Vichy n'était pas la France, écrit-elle. C'est une position qui a toujours été défendue par le chef de l'État, avant que Jacques Chirac et surtout François Hollande, à tort, ne reviennent dessus."
De Charles de Gaulle à François Mitterrand, aucun président français n’avait en effet souhaité reconnaître la responsabilité de la France dans la rafle du Vél d’Hiv. Tous jugeaient que le régime de Vichy n’était pas la République française, celle-ci étant incarnée selon eux par la France libre à Londres.
Interrogé sur le sujet le 14 juillet 1992, deux jours avant la commémoration du 50e anniversaire de la rafle, le président Mitterrand déclare notamment : "En 1940, il y eut un État français, c’était le régime de Vichy, ce n’était pas la République. Et c’est à cet État français qu’on doit demander des comptes. Ne lui demandez pas de comptes à la République, elle a fait ce qu’elle devait. […] L’État français c’était le régime de Vichy, ce n’était pas la République. La Résistance, d’abord le gouvernement De Gaulle, ensuite la IVe République et les autres, ont été fondés sur le refus de cet État français."
Deux jours plus tard, François Mitterrand devient le premier président français à participer à la commémoration de la rafle du Vél d’Hiv, sans toutefois prononcer de discours. Puis en février 1993, il fait du 16 juillet la "journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite 'gouvernement de l’État français'". La formule n’est pas neutre et souligne une fois de plus cette façon qu'avait François Mitterrand de distinguer subtilement "l'État français" alors en place de la "République française".
"La France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable"
Il faut donc attendre le discours de Jacques Chirac, le 16 juillet 1995, pour que cette association soit faite. "Ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'État français", déclare ce jour-là le nouveau président élu deux mois plus tôt. "La France, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux."
Son successeur, Nicolas Sarkozy, ne participe à aucune commémoration, mais déclare, le 20 juillet 2007, au mémorial de la Shoah : "Jacques Chirac a dit ce qu’il fallait dire et je pense qu’il n’y a rien à retrancher et rien à ajouter au très bon discours qu’il avait fait à l’époque."
François Hollande participe, lui, au 70e anniversaire de la rafle du Vél d’Hiv et s’inscrit dans la continuité de la ligne établie par Jacques Chirac. Il déclare le 22 juillet 2012 : "La vérité, c’est que la police française, sur la base des listes qu’elle avait elle-même établies, s’est chargée d’arrêter les milliers d’innocents pris au piège le 16 juillet 1942. C’est que la gendarmerie française les a escortés jusqu’aux camps d’internement. La vérité, c’est que pas un soldat allemand, pas un seul, ne fut mobilisé pour l’ensemble de l’opération. La vérité, c’est que ce crime fut commis en France, par la France", affirme le président.
"Marine Le Pen n’a pas tort d’un point de vue historiographique puisque le débat sur la notion de ce qu’était le régime de Vichy – représentatif de l’État français ou non ? – est possible", note l’historienne Isabelle Veyrat-Masson, directrice de recherche au CNRS ayant coordonné une recherche collective sur les guerres des mémoires en France et dans le monde, contactée par France 24. "Si les mêmes propos avaient été tenus par quelqu’un d’autre, cela n’aurait d’ailleurs pas forcément choqué", ajoute-t-elle, soulignant que d’autres responsables politiques, de droite comme de gauche, ont déjà eu des déclarations similaires.
Une déclaration en phase avec "le refus des repentances d’État"
"Le seul coupable est le gouvernement de Vichy et non la République française", affirmait ainsi l’ancien ministre de la Culture Jack Lang, dans une interview avec Ouest-France deux jours après le discours de Jacques Chirac.
"Ce qu'a dit M. Hollande […] hier, personnellement, me scandalise, pour une raison très simple : ma France, elle n'était pas à Vichy, elle était à Londres depuis le 18 juin. Il n'a pas parlé au nom de la France que j'aime", déclarait Henri Guaino, sur RMC et BFM TV, au lendemain du discours de François Hollande.
"Il y a une France qui a collaboré, c’est celle de Vichy. Il y a une France qui a sauvé l’honneur, c’est celle de De Gaulle", a estimé pour sa part Nicolas Dupont-Aignan, lundi matin, sur LCI, en réaction aux propos de Marine Le Pen, se positionnant sur la même ligne que sa concurrente à la présidentielle.
"Malgré tout, il faut aussi faire une lecture politique de la déclaration de Marine Le Pen, souligne Isabelle Veyrat-Masson. On voit bien qu’elle se replace dans un sillage qui permet de renforcer son électorat traditionnel, celui de son père, grâce à un nationalisme outrancier. Or c’est justement parce que c’est Marine Le Pen qui tient ces propos et parce qu’on connaît l’historique du FN sur la question de la Seconde Guerre mondiale et de l’antisémitisme qu’il y a tant de réactions."
Son discours, qui intervient alors que la candidate FN baisse dans les sondages de premier tour, ne devrait par ailleurs pas surprendre. Il est en phase avec le 97e de ses 144 "engagements présidentiels", "le refus des repentances d’État qui divisent".
"On a appris à nos enfants qu'ils avaient toutes les raisons de critiquer [la France], de n'en voir peut-être que les aspects historiques les plus sombres […]. Je veux qu'ils soient à nouveau fiers d'être français", a-t-elle souligné dimanche, après avoir déjà regretté, le 29 mars dans une interview avec Sud-Ouest, que "80 %" de l'enseignement sur la Seconde Guerre mondiale soit consacré à la collaboration.