
Le double attentat contre des églises coptes dimanche en Égypte illustre une montée en puissance de l’organisation État islamique dans le pays, qui s'appuie sur des clivages confessionnels.
En ce dimanche des Rameaux, le 9 avril, une foule de fidèles coptes se presse autour des grandes églises de Tanta, à une centaine de kilomètres du Caire, et d’Alexandrie, dans le nord de l'Égypte. La fête, inaugurant la semaine sainte avant Pâques, est toujours un jour spécial pour les millions de coptes d’Égypte, qui la célèbrent en famille, avec leurs enfants. Peu avant 10 heures, un kamikaze fait exploser sa ceinture d’explosifs dans l’église Mar Girgis de Tanta. Quelques heures plus tard, c’est l’entrée de l’église Morcossiya d’Alexandrie, où le pape copte orthodoxe Tawadros II célèbre la messe, qui est frappée par une nouvelle explosion. Bilan : au moins 44 morts au total.

Ces deux attaques à la bombe, revendiquées rapidement par la branche égyptienne de l’organisation État islamique (EI) s’inscrivent dans une recrudescence marquée des violences opérées contre les coptes d’Égypte. Mi-décembre déjà, l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul du Caire était frappée par un attentat-suicide qui a tué 29 personnes, dont une majorité de femmes et d’enfants. Et depuis février, des centaines de familles coptes fuient la province du Nord-Sinaï, où le groupe jihadiste est implanté, après qu’il a promis de s’en prendre spécifiquement aux chrétiens d’Égypte. Pour l’EI, ces derniers, qui représentent 10 % des 92 millions d’Égyptiens, sont des "polythéistes" et des "croisés". Analyse de Romain Caillet, chercheur spécialiste de la mouvance jihadiste.
France 24 : Le double attentat de dimanche est la deuxième attaque d’envergure en quelques mois contre les coptes. Pourquoi cette communauté est-elle particulièrement visée par les jihadistes ?
Romain Caillet : D'une part, l’EI a fait une vidéo [en février] appelant à attaquer les chrétiens, et surtout les coptes. Ils veulent encourager les conflits confessionnels, comme en Syrie et en Irak. En Égypte, c’est plus compliqué dans le sens ou les coptes sont une petite communauté qui ne participe pas au pouvoir. Mais une partie d’entre eux bénéficie de la prospérité économique - ils représentent d’ailleurs les plus grandes fortunes du pays -, ce qui nourrit les clichés. Et les conflits privés, dans le cadre des mariages mixtes par exemple, peuvent déboucher sur des affrontements confessionnels.
Pour avoir vécu dans les deux pays, je peux dire que l’hostilité entre les chrétiens et les musulmans est beaucoup plus forte en Égypte qu’au Liban, malgré les 15 ans de guerre civile confessionnelle qui ont fait rage [dans ce dernier pays]. On l’a vu aux élections présidentielles égyptiennes de 2012, où le vote pour les islamistes a explosé, avec leurs scores les plus importants dans les régions à forte population copte. L’hostilité envers les coptes en Égypte déborde largement la sphère islamiste, et l’EI l’a bien compris.
En frappant les coptes, l’EI s'attaque aussi au régime, incapable de protéger les minorités, contrairement aux arguments officiels.
Les autorités égyptiennes maintiennent que le Sinaï, où est basé l’EI, est sous haute surveillance. Quelle est la puissance des jihadistes dans cette région ?
Il leur manque juste le contrôle territorial. Ils y font des opérations militaires, frappent la police et l’armée, les personnalités anti-jihadistes, ils établissent des checkpoints dans les rues. Leur bastion est clairement dans le Sinaï, avec une partie de la population qui les soutient. Et en même temps, ils sont capables de mener des attentats d’importance au Caire, à Alexandrie, et contre la police en Haute-Égypte.
Mais s’ils récupèrent le ressentiment de la population contre les coptes, on va entrer dans une nouvelle dimension. Avec un tel soutien, ils pourraient s’étendre dans le reste du pays, comme ils l’ont fait en Syrie et en Irak. Le clivage confessionnel, c’est ce qui leur réussit. On le voit en Syrie : maintenant, la plupart des attentats ne sont plus perpétrés par des étrangers. Les kamikazes frappent des communautés contre qui ils ont un ressentiment, comme les chiites ou les alaouites. Cependant il parait difficile d’atteindre un tel niveau de ressentiment en Égypte [où les coptes n'ont pas autant d'influence].
Assiste-t-on à un renforcement du pouvoir des jihadistes en Égypte, alors qu’ils perdent du terrain en Irak ?
L’EI a toujours été fort en Égypte. Simplement, on en parlait moins car ils ont choisi de ne pas avoir de contrôle territorial. Mais ils ont aussi des milliers d’hommes. Avec la perte des territoires en Libye et les divisions internes au sein de Boko Haram au Nigeria, les forces égyptiennes de l’EI, plus particulièrement dans le Sinaï, vont rester pour longtemps la troisième plus grande section [du groupe djihadiste] dans le monde.
L’état d’urgence [déclaré dimanche pour trois mois par le président Sissi] n’y changera rien. Des responsables sécuritaires ont été renvoyés, c’est logique, mais le tour de vis sécuritaire des autorités ne sert qu’à montrer à l’Occident qu’ils font quelque chose. Ceux qui en seront victimes sont les islamistes opposés aux jihadistes, qui ont pignon sur rue en Égypte comme dans tous les pays arabes.