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La "clause Molière" : pour les entreprises du BTP, une garantie de sécurité

Mesure populiste ou outil de lutte contre le dumping social, l'obligation de parler français sur les chantiers publics s'est invitée dans le débat politique. Mais pour le secteur du BTP, la "clause Molière" est avant tout une question de sécurité.

Île-de-France en mars, Auvergne-Rhône-Alpes en février, Hauts-de-France et Normandie dès 2016... Plusieurs conseils régionaux ont opté pour imposer le français comme langue de travail sur les chantiers dont ils sont maîtres d'œuvre.

Cette mesure, dite "clause Molière", remporte l'adhésion au sein d’une majeure partie du secteur du bâtiment. "Pour nous, c'est une bonne chose", explique à France 24 Jacques Chanut, président de la Fédération française du bâtiment, qui représente les deux tiers des entreprises du bâtiment en France.

Originaires principalement de Pologne, du Portugal, d'Espagne ou de Roumanie, ils étaient en 2015 près de 62 000 travailleurs détachés européens — qui continuent de cotiser dans leur pays d'origine — à avoir été employés sur les chantiers français, où la maîtrise de la langue de Molière est aléatoire.

Des métiers plus qualifiés

Or, "si on ne comprend pas les consignes de sécurité, on se met en danger et on met en danger les autres", poursuit Jacques Chanut.

Et de faire valoir que les travailleurs du bâtiment ne correspondent pas forcément au cliché des gros bras à qui on ne demande pas de réfléchir. "Ce sont des métiers de plus en plus techniques, formés, qualifiés, certifiés." Normes à respecter, utilisation des équipements, tout cela requiert une capacité à communiquer avec le reste de l'équipe sur le chantier — et c'est pour Jacques Chanut le sens de la clause Molière.

Un argument avancé également par les régions qui ont adopté la mesure. "Cette clause est nécessaire et vise les entreprises étrangères qui viennent avec leurs équipes, sans qu'aucun ne parle français", selon le vice-président de la région Île-de-France en charge de l'économie, Jérôme Chartier.

"On n'attaque pas le détachement", se défend Jacques Chanut, qui dit vouloir plutôt combattre la fraude autour de ce dispositif (niveaux de salaire, temps de travail, équipements de sécurité) et se montre "agacé" de voir le sujet s'inviter dans le débat politique sur la thématique nationaliste.

Vers la préférence nationale ?

Au sein des syndicats de salariés et du patronat, c’est la méfiance qui règne. "Inacceptable" pour la CFDT, une "marche vers la préférence nationale", pour la CGT. "On stigmatise les étrangers parce qu'ils ne parleraient pas assez bien français", s'est indigné Philippe Martinez. Le numéro un de la CGT évoque une mesure "purement électoraliste dans le cadre d'une campagne présidentielle".

Le numéro un du Medef Pierre Gattaz est lui aussi dubitatif : "Il faut faire attention qu'on ne se recroqueville pas encore une fois sur nous-mêmes, sur la France, sur les Français."

Certains politiques contestent la légalité même de la mesure : "La #ClauseMolière est discriminatoire : elle ne respecte ni la législation, ni la Constitution française", a tweeté mardi la ministre du Logement, l'écologiste Emmanuelle Cosse.

Si l'opposition est plus virulente à gauche et au centre, la clause ne fait pas non plus l'unanimité à droite. La députée européenne Élisabeth Morin-Chartier a interpellé François Fillon, l'enjoignant à rejeter cette mesure qui tient selon elle du "repli sur soi", et a mis en garde contre d'éventuelles mesures de rétortion contre les près de 200 000 travailleurs détachés français dans l'Union européenne.