
Les débats du sommet de l'Union africaine, qui s'ouvre lundi en Éthiopie, devraient porter principalement sur le retour du Maroc au sein de l'organisation. Une possible adhésion qui ravive la rivalité avec son voisin l'Algérie.
Trente-trois ans après l’avoir quittée, le Maroc pourrait faire son retour dans l’Union africaine (UA). Les 54 chefs d'État membres de l’institution, qui ouvre son 28e sommet, lundi 30 janvier, à Addis-Abeba (Éthiopie), doivent s’exprimer sur cette réintégration.
Le royaume chérifien (alors dirigé par Hassan II, père de l'actuel monarque), a quitté l'OUA, ancêtre de l'UA, en 1984. Il entendait ainsi protester contre l'admission au sein de l'institution de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) proclamée par le Front Polisario au Sahara occidental, un territoire que Rabat considère comme sien.
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Mais la politique de la chaise vide a montré son inefficacité sur la question du Sahara occidental. Qui plus est alors que l'UA est devenue désormais "incontournable sur le continent et sur la scène internationale", souligne Gilles Yabi, analyste politique, à la tête du laboratoire d'idées citoyen Wathi.
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Grands moyens
Le retour du Maroc est l'épilogue d'un vaste processus entamé il y a une dizaine d'années, lancé publiquement par le roi Mohammed VI en juillet 2016, formalisé en septembre auprès de l'UA et qui mobilise depuis lors tout l'appareil d'État marocain. En six mois, le souverain, qui sera présent lundi à Addis Abeba, a enchaîné les tournées diplomatiques sur le continent où il n'a eu de cesse de proclamer son engagement envers ses "frères" africains.
Promesse de méga-contrats, d'œuvrer à "la paix et à la sécurité", de nouvelle "coopération sud-sud", de "développement durable"... le Maroc a déployé les grands moyens pour convaincre de sa vocation subsaharienne et de la nécessité de "retrouver sa place au sein de sa famille institutionnelle continentale". Le royaume a déployé "une vision de longue durée" qui lui permis "de se positionner comme un acteur important non seulement avec l'Europe, mais aussi en Afrique subsaharienne", ajoute Gillles Yabi.
D'autre part, la réintégration de la sixième puissance économique du continent pourrait être une aubaine pour l'UA, qui cherche à devenir financièrement indépendante, mais a perdu en la personne du défunt dictateur libyen Mouammar Kadhafi un généreux bienfaiteur. L'UA est actuellement financée à 70 % par des donateurs étrangers, selon l'Institute for Security Studies (ISS).
Lobbying d'Alger et Pretoria contre le Maroc
Le rapport de force au Sahara, où le statu quo prévaut depuis des années, a évolué plutôt en faveur du Maroc, qui joue de la politique du fait accompli. Avec en face, un Polisario en plein doute depuis la mort de son chef historique Mohamed Abdelaziz en mai 2016. Le Maroc ne met plus aujourd'hui aucune condition à son retour au sein de l'UA, et notamment pas l'expulsion de la RASD. Il se targue du soutien d'une quarantaine de pays (sur 54), et souligne son strict respect de la procédure d'adhésion, tout en affichant "sa confiance et sa sérénité", selon les mots du ministre des Affaires étrangères, Salahedinne Mekouar.
Mais le royaume "anticipe en même temps les obstacles que certaines parties tentent de dresser pour entraver l'initiative marocaine, voire la reporter", a prévenu l'agence officielle MAP. Et des obstacles, il y en aura sûrement à Addis Abeba. "L'Algérie et l'Afrique du Sud font un fort lobbying contre le retour du Maroc", note Liesl Louw, analyste pour l’ISS. Alger et Pretoria soutiennent de longue date la lutte du Front Polisario, qui réclame l'indépendance du Sahara occidental.
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"La présidente de la Commission de l'UA [son principal organe], la Sud-africaine Nkosazana Dlamini-Zuma, a été ouvertement accusée par Rabat de vouloir saboter son retour", rappelle l’analyste, pointant les zones d'ombre et interprétations diverses autour du processus, "assez technique".
Il ne fait "aucun doute", selon la presse marocaine, "que l'objectif à moyen, voire à court terme, est d'obtenir l'exclusion du Polisario". Lequel pourrait être tenté, de son côté, de jouer la carte d'incidents armés au Sahara, et perturber ainsi le scénario imaginé à Rabat.
Élection d'un nouveau président de la Commission
Les intérêts régionaux divers promettent aussi de compliquer l'élection, mardi 31 janvier, d'un nouveau président de la Commission pour succéder à Nkosazana Dlamini-Zuma, saluée pour avoir mis la question des droits des femmes sur la table, mais critiquée pour son bilan en terme de paix et sécurité.
Cette élection devait avoir lieu en juillet, mais avait finalement été reportée, de nombreux membres de l'organisation estimant que les prétendants "manquaient d'envergure".
Trois nouveaux candidats se sont depuis manifestés, et les observateurs s'attendent à ce que le vainqueur soit l'un d'entre eux : la ministre kényane des Affaires étrangères, Amina Mohamed, l'ancien Premier ministre tchadien, Moussa Faki Mahamat, ou le diplomate sénégalais Abdoulaye Bathily.
Avec AFP