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À seulement 32 ans, Damien Chazelle est devenu le nouveau chouchou du cinéma américain. Alors que sa comédie musicale "La La Land" s’apprête à triompher aux Oscars, France 24 dresse le portrait d’un jeune prodige qui a mis Hollywood à ses pieds.

À moins que vous ne viviez plus sur Terre depuis des semaines (coucou Thomas Pesquet !), il ne vous aura pas échappé que la planète cinéma ne jure plus que par "La La Land". En France, et plus particulièrement à Paris, où le film est sorti mercredi 25 janvier sur les écrans, il est devenu impossible de faire un pas sans croiser l’une de ces affiches vantant les mérites du "meilleur film de l’année". "Impossible de ne pas l’aimer", affirme même l’une d’elles (on vous aura prévenu).

L’unanimité qui entoure la comédie musicale à succès est telle que certains se demandent — à l’instar de la mythique émission satirique américaine Saturday Night Live — si émettre la moindre réserve sur le film ne peut vous valoir des problèmes avec les forces de l’ordre…

Le plébiscite "La La Land" a débuté bien avant sa sortie en salles. C’est en septembre 2016 à Venise, où il a été projeté en ouverture de la Mostra, que les premiers lauriers ont été tressés. "La comédie musicale la plus audacieuse vue sur grand écran depuis très longtemps, et, ironiquement, c'est parce qu'elle est extrêmement classique", écrivait ainsi l’hebdomadaire Variety au sortir de la projection. Un long métrage "qu'on ne veut pas voir finir", s’enthousiasmait The Playlist tandis que The Hollywood Reporter trouvait "remarquable que Chazelle soit capable de ce film". Comment, en effet, un jeune cinéaste encore peu connu du grand public est-il parvenu à conquérir le tout-Hollywood avec un film de genre dont on sait l’âge d’or révolu ?

Aussi fort que "Titanic"

À seulement 32 ans et trois films à son actif, Damien Chazelle bat en effet déjà tous les records hollywoodiens. Le 20 janvier, "La La Land" a décroché 14 nominations. Un exploit que seuls le "Titanic" de James Cameron et la "Ève" de Joseph Mankiewicz avaient jusqu’alors réalisé. Trois semaines plus tôt, le 8 janvier, le film remportait les sept Golden Globes pour lesquels il concourrait : du jamais vu.

Ce soir-là, il avait remercié sa famille pour avoir soutenu, et même encouragé, ses rêves de cinéma. C’est pourtant vers la musique que le jeune homme se tourna dans un premier temps. Né le 19 janvier 1985 dans le petit État du Rhode Island, dans le nord-est des États-Unis, Damien Chazelle a grandi aux côtés d’une mère américaine professeure d'histoire et d’un père français enseignant les mathématiques à l’université. C’est ce dernier, originaire de Clamart, dans la région parisienne, qui lui a transmis l’amour du jazz et du blues. Passion à laquelle il s’adonnera dès le lycée en pratiquant jusqu’à huit heures par jour des percussions au sein d’un big band.

Le virus du cinéma, Damien Chazelle le contractera seul lorsqu’il visionna, jeune, "Glory", une épopée sur la guerre sécession signée Edward Zwick. Mais ce n'est qu'une fois étudiant à Harvard qu'il prend conscience que c’est dans le septième art qu’il veut faire carrière. Sa révélation lui viendra lors du visionnage d’un classique du cinéma non pas américain mais français : "Les Parapluies de Cherbourg" de Jacques Demy.

"J’étais en pleurs, confesse-t-il au magazine américain W. J’étais transporté, abattu, soufflé, élevé. Bref, j’ai traversé tous les états qu’un film peut créer en vous. C’est le moment où j’ai réalisé que l’art pouvait changer votre vie […] Donc, cela a commencé avec ‘Les Parapluies de Cherbourg’ puis j’ai enchaîné avec toutes autres comédies musicales." Parmi ses classiques : le célèbre "Chantons sous la pluie" de Stanley Donen et le plus confidentiel "Beau fixe sur New York" du même réalisateur.

Sundance, Cannes, les Oscars...

Alors qu'il n’est encore qu’en premier cycle universitaire, Chazelle s’attèle donc à l’écriture de son premier long-métrage. "Guy and Madeline on a Park Bench" sort sur les écrans en 2009 et témoigne déjà de son amour pour le jazz et de son admiration pour son maître de cinéma qu’est l’auteur des "Demoiselles de Rochefort".

Parallèlement, l’apprenti cinéaste ne renonce pas à ses activités de percussionniste. Mais le trac qui le paralyse avant chaque représentation de son groupe – qu’il a formé avec des camarades d’Harvard – le contraint à faire une croix sur ses ambitions musicales.

C’est d’ailleurs son expérience d'aspirant-batteur qui va inspirer son deuxième film, "Whiplash". Présenté à Sundance et à Cannes en 2014, cet éprouvant face-à-face entre un étudiant en percussions-jazz et son professeur tyrannique suscite l’enthousiasme de la critique et du public. Les Oscars lui décernent trois statuettes. Damien Chazelle se fait un nom. Il a tout juste 30 ans.

En tant que scénariste, il multiplie les projets qui tranchent avec l’univers très "tambour et trompette" de ses films. Aussi lui doit-on l’histoire du film d’épouvante "Le Dernier exorcisme : Part II" ainsi que celle du thriller de science-fiction "10 Cloverfield Lane".

Auréolé du statut de jeune prodige, Damien Chazelle n’entend toutefois pas faire la révolution. En nostalgique des performances dansées à la Fred Astaire, il se lance dans "La La Land", une comédie musicale qu’il présentait dès 2014 comme "une histoire sur la difficulté de trouver un équilibre entre la vie et l'art".

Hollywood et Jacques Demy

Après deux ans d’un "long processus", cette œuvre "très personnelle" voit le jour avec, en tête d’affiche, le duo plus-glamour-tu-meurs formé par Ryan Gosling et Emma Stone. Avec sa bande-son enlevée, ses numéros de claquettes et ses costumes colorés, "La La Land" se veut le digne héritier du cinéma d’antan. Mais le réalisateur se défend d’avoir livré un simple hommage : "Les comédies musicales des années 1930, 1940 et 1950 d’Hollywood et les films de Jacques Demy, je suis un grand fan de tout ça, affirmait-il à France 24 lors de l’avant-première du film à Paris, le 10 janvier. Mais l’idée, c’était de prendre le cinéma ancien pour en faire un film moderne sur la vie, les amants et les artistes du Los Angeles d’aujourd’hui."

Bien que le statut de favori ne soit plus aussi confortable qu’avant, il est difficile d’imaginer que "La La Land" ne triomphe pas aux Oscars le 26 février prochain. Par le passé, l’Académie a plusieurs fois montré qu’elle n’aimait rien tant que les déclarations d’amour à Hollywood (on se souvient de "The Artist"). En termes d’espèces sonnantes et trébuchantes, le film a déjà remporté quelque 90 millions de dollars de recettes aux États-Unis.

Après les Oscars, Damien Chazelle se mettra à l'ouvrage de son nouveau long-métrage : "First Man", une biographie filmée de l'astronaute Neil Armstrong, avec Ryan Gosling dans le rôle-titre. Le jeune cinéaste est bien décidé à décrocher la Lune.