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Erasmus africain : l’idée de Manuel Valls séduira-t-elle les étudiants européens ?

Le candidat de la primaire de la gauche, Manuel Valls, a annoncé, mercredi, vouloir créer un Erasmus entre Africains et Européens. Un projet très vague, qui met en lumière le recul de la France comme première destination des étudiants africains.

Manuel Valls croit en l’Afrique. C’est en tout cas ce qu’il a martelé lors de sa dernière visite d’État sur le continent, fin octobre 2016, et ce qu’il a répété à l’envi lors du dernier débat de la primaire de la gauche, mercredi 25 janvier. "J’ai une vision pour le développement, et en particulier pour l’Afrique, parce que je pense que c’est le grand continent de l’avenir. C’est notre horizon pour la France et l’Europe", a lancé le candidat lors de la "carte blanche" du débat, lui permettant de parler d’une mesure lui tenant particulièrement à cœur. Ainsi, l’ancien Premier ministre fait la "proposition très concrète" de créer un programme Erasmus entre les deux continents "pour permettre plus de mobilité entre les étudiants européens et africains".

L’ambitieux projet ne figure pas dans son programme politique, mais il lui a déjà trouvé un nom : Senghor, du nom du poète franco-sénégalais, premier président du Sénégal et premier Africain à siéger à l’Académie française. "Une grande personnalité africaine, mais qui avait cette grande culture et cette ouverture sur la France et sur l’Europe", confiait Manuel Valls à France 24 lors de sa tournée d’octobre en Afrique de l’Ouest. À cette occasion, il avait évoqué depuis le Ghana la proposition "que les jeunes Africains et les jeunes Européens puissent venir étudier les uns chez les autres, se rencontrer, échanger, apprendre ensemble".

La première destination mondiale

Le vœu de Manuel Valls n’a, à ce jour, pas grand-chose de "très concret" sur quoi se reposer. Outre le fait que la mobilité des jeunes étudiants se fait surtout dans un sens, de l’Afrique vers l’Europe, la législation européenne sur le séjour des étudiants étrangers est loin d’être aussi ouverte qu’Erasmus. Tout juste l’ancien Premier ministre peut-il se réjouir que la France, avec sa longue tradition d’accueil des étudiants africains, reste leur première destination mondiale. Le rapport d’octobre 2016 de Campus France, l’agence publique pour la promotion de l’enseignement supérieur français, révèle qu’en 2013, sur les 373 000 étudiants africains en mobilité internationale, ils sont 92 205 à avoir choisi la France.

"Tous ces étudiants nous apportent un vrai savoir-faire. Et après leurs études, ils sont autant d’ambassadeurs de la France ou de francophiles", explique Didier Rayon, responsable études et recherches de Campus France. Selon lui, contrairement aux idées reçues, il n’est pas plus compliqué d’obtenir un visa d’études aujourd’hui qu’il y a 20 ans. "L’idée [que la France] aurait fermé [ses] portes aux Africains est contredite par les chiffres", précise-t-il. Ainsi, à la rentrée 2015, 43,2 % des étudiants étrangers venus en France arrivaient d’Afrique.

Mais comme le nombre et le niveau de ces étudiants est en nette augmentation depuis plusieurs années, force est de constater que l’eldorado français n’a plus tellement la cote. La déclaration de Manuel Valls illustre une "prise de conscience tardive", pour Béatrice Khaiat, directrice générale de Campus France : "La France est en train de perdre des parts de marché, l’Arabie saoudite et la Chine sont en train de miser énormément sur l’Afrique." Ainsi, le royaume wahhabite a accueilli 12 728 étudiants africains en 2013, principalement originaires du Maghreb, mais aussi du Sénégal, et la tendance est à la hausse avec des bourses alléchantes. "Aujourd’hui, la France doit convaincre, y venir n’est plus un automatisme. On fait face à une recomposition complète de la cartographie de la mobilité des étudiants africains", analyse Didier Rayon.

Des études réservées à une élite

"[L’idée de Manuel Valls] n’est pas du tout une bonne formule, il est extrêmement difficile de parler d’un Erasmus africain. Le niveau en langue des Africains est très bas, les anglophones parlent très mal français et inversement", relève Odon Vallet, enseignant et fondateur de la fondation Vallet, qui gère un institut de langue vivante et l’une des plus importantes bibliothèques d’Afrique francophone à Porto Novo, au Bénin. Le philanthrope souligne que les Instituts français ou autres Goethe Institute offrant des formations en langue sur le continent sont trop chers. "Ceux qui viennent en Europe sont généralement issus de familles favorisées", ajoute-t-il.

Car il faut avoir les moyens d’étudier en Europe. Outre le coût de la vie, les frais de scolarité sont beaucoup plus chers pour les étudiants non européens (plus de 5 000 euros à Mines Paristech, par exemple, contre 2 800 euros maximum pour les Européens), et les bourses sont réservées aux meilleurs. Et encore… La fameuse bourse d’excellence Eiffel du ministère des Affaires étrangères, qui alloue 1 181 euros par mois aux étudiants en Master, ne prend pas en charge les frais de scolarité.

Faire des études en Europe requiert aussi un (très) bon niveau. Or la qualité de l’enseignement a baissé en Afrique avec l’explosion démographique que connaît le continent depuis les indépendances. Les services "campus" des ambassades de France, qui tentent de faire venir un maximum de "cerveaux" dans l’Hexagone, ont du mal à trouver beaucoup de candidats valables, relève Odon Vallet, qui constate que même au sein des réseaux de lycées français, le niveau est "en baisse très prononcée depuis la dernière décennie".

Très peu d’étudiants français en Afrique

Si les jeunes Africains continuent de venir en France pour étudier, la réciproque n’est pas vraie. Les jeunes Français sont plus volontiers intéressés par le Volontariat international à l’étranger (VIE), qui leur permet, une fois diplômés, de partir effectuer une mission rémunérée en entreprise, que par les études en tant que telles. Campus France estime que seuls 3,4 % des étudiants français en mobilité internationale choisissent l’Afrique, contre 56,8 % pour l’Union européenne et 14,8 % pour l’Amérique du Nord.

Rares sont les pays du continent à posséder des infrastructures et un niveau de formation comparables aux grandes écoles européennes. On est loin de l’éventail de possibilités offertes par Erasmus dès la première année de licence aux étudiants de 34 pays européens. La tâche semble donc ardue pour Manuel Valls, et surtout très chère : à titre comparatif, le programme Erasmus dispose d'un budget de 14,7 milliards d’euros pour la période 2014-2020. Béatrice Khaiat, qui reconnaît que "c’est une bonne idée, sur le principe, pour être plus présents en Afrique, qui est effectivement l’endroit où est l’avenir", pèse ses mots en affirmant que "sa mise en œuvre semble plus compliquée".