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Les forces de la Cédéao, solution fragile à la crise gambienne

Un corps d’armée mandaté par la Cédéao est entré, jeudi, en Gambie. L’institution, qui n’en est pas à sa première opération de maintien de la paix, peine encore à faire figure de gendarme de l’Afrique de l’Ouest.

Le bruit des bottes résonne aux portes de Banjul. Dans la nuit de mercredi à jeudi 19 janvier, quelques heures après le début du mandat officiel du nouveau président de la Gambie, des forces armées de cinq pays ouest-africains sont entrées en territoire gambien depuis le Sénégal.

Mandatée par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), et avec l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU, l’opération "restaurer la démocratie" entend faire respecter l’ultimatum donné mercredi au président sortant Yahya Jammeh, qui refuse de quitter le pouvoir après avoir perdu les élections du 1er décembre 2016.

La Cédéao, composée de 15 pays d’Afrique subsaharienne dont le Sénégal et la Gambie, dispose d’une capacité d’intervention militaire, la Force en attente (FAC), anciennement appelée ECOMOG. C’est dans ce cadre que 7 000 soldats de contingents du Nigéria, du Sénégal, du Ghana, du Togo et du Mali, ont pénétré jeudi en Gambie, sous commandement sénégalais.

S’il ne s’agit pas de la première opération militaire de la Cédéao, elle peut surprendre par la rapidité de son déploiement et de son organisation. Il faut dire que le cas de la Gambie est particulier dans l’échiquier géopolitique ouest-africain : le Sénégal y est déjà intervenu militairement, en 1981, pour empêcher un coup d’État visant à renverser le premier président du pays, Dawda Jawara. Ce dernier sera finalement renversé, en 1994, par un putsch de l’actuel président sortant Yahya Jammeh.

"L’intervention a été facilitée car les forces étaient déjà disponibles. La Cédéao ne fait que s’appuyer sur un scénario que le Sénégal avait prévu depuis longtemps", analyse le général de brigade Moussa Coulibaly, directeur général de l’école de maintien de la paix de Bamako, qui forme du personnel militaire et civil de la FAC. Le schéma classique aurait imposé à l’état-major de la FAC, basé à Abuja, la capitale nigériane, de se réunir et de demander à chaque pays de fournir un contingent, ce qui aurait pris plus de temps, et coûté plus d’argent. "Ici, le Sénégal a mis la pression, et on est sorti de ce schéma. La Cédéao a apporté la couverture et la légitimité nécessaire à un plan qui était déjà dans les cartons", précise le général Coulibaly.

Plusieurs interventions par le passé

Les "casques blancs" de l’ECOMOG sont déjà intervenus à plusieurs reprises au cours des trois dernières décennies. Créées à l’origine pour les opérations de maintien de la paix, les forces armées de la Cédéao ont pu compter, à leur plus fort, sur près de 20 000 soldats, de 1990 à 1998, pendant leur premier déploiement au Libéria.

Alors considérée comme la première force régionale d’interposition sur le continent, elle se rend par la suite en Sierra Leone (1997-2000), en Guinée-Bissau (1998-1999 et 2012), de nouveau au Libéria (2003) et en Côte d’Ivoire (2003-2004). Forte de certains succès, bien que relatifs, notamment au Libéria, la Cédéao institutionnalise en 1999 sa politique de sécurité et lance la FAC en 2004. Dans la configuration actuelle, chaque pays membre doit pouvoir mettre à disposition de la Force une brigade d’environ 500 soldats et officiers formés aux opérations de maintien de la paix, des policiers et du personnel civil. Parmi eux, une "force d’intervention rapide" mobilisable sous 30 jours. Plusieurs scénarios de crise sont élaborés par l’état-major. "Suivant la crise, on adapte le nombre de soldats à envoyer", explique le général Coulibaly.

Le Nigeria, qui domine la Communauté tant sur les plans politique qu’économique, fournit régulièrement des troupes. Mais les moyens de financement de la FAC, qui fait pourtant figure de bras armé africain le plus avancé pour les opérations de maintien de la paix sur le continent, sont souvent limités. "Sur le papier, on est très avancé. Mais il faut reconnaître que les ressources ne sont pas là, ce qui rend l’équation difficile", explique Moussa Coulibaly.

De nombreuses lacunes

La crise malienne de 2012 illustre les nombreuses lacunes dont l’institution souffre encore aujourd’hui. Après le coup d’État du 22 mars à Bamako et l’avancée-éclair de la rébellion touareg et des jihadistes, les chefs d’État de la Cédéao se réunissent à Dakar le 2 avril. Ils décident "la mise en place immédiate de la Force d'attente de la Cédéao", selon les mots de son dirigeant d’alors, le président ivoirien Alassane Ouattara, qui affirme que l'organisation mettra "tous les moyens pour stopper cette rébellion", afin "que le Mali retrouve l'intégrité de son territoire".

Cependant, l’intervention n’a lieu qu’à partir de janvier 2013. "Les schémas de la FAC n’avaient pas prévu un scénario à la malienne. Ils ne savaient pas quoi faire, se rappelle le général Coulibaly. Il manquait le financement et la logistique."

Pour récolter des fonds dont la Cédéao ne dispose pas, une conférence des donateurs doit être organisée fin janvier 2013 à Addis Abeba, capitale éthiopienne où siège l’Union africaine (UA). "Nous espérons que nous allons parvenir à boucler le budget, s'était alors inquiété le président burkinabè Blaise Compaoré. Sinon, il y a un risque d’enlisement." Les donateurs internationaux, dont l’UA et l’Union européenne, fournissent alors 450 millions de dollars pour financer le déploiement de plus de 7 000 soldats.

"C’est sans doute ce retard, combiné à l’incapacité de l’armée malienne à résister à la puissance de feu de l’ennemi, qui ont permis aux groupes islamistes de lancer en janvier 2013 une offensive-éclair vers le sud du Mali en assiégeant des villes et zones stratégiques", analyse le consultant en géopolitique Jean-Jacques Konadjé dans un article pour le Réseau de recherche sur les opérations de paix.

Selon le directeur de l’École de maintien de la paix de Bamako, la Force en attente de la Cédéao n’est aujourd’hui pas davantage opérationnelle, contrairement à ce que laisse imaginer le cas gambien. Tout simplement parce qu’aucun fonds dédié n’existe. "Peut-être que les menaces actuelles vont les pousser à envisager les choses sous un autre angle. Mais avoir du personnel formé, du matériel et des scénarios, ça ne suffit pas s’il manque les capacités financières et logistiques."

La communauté internationale compte pourtant sur la Cédéao pour faire cesser rapidement la crise gambienne, et offrir à Adama Barrow la possibilité de mettre en place le processus démocratique, qu’il a promis d'installer lors de son investiture.