Instaurer un smic européen, créer un bloc de pays réformateurs ainsi qu'un plan de relance de l'économie… Les propositions sur l’Europe des candidats à la primaire de la gauche ne manquent pas. Mais sont-elles réalistes ? Éléments de réponse.
Les diverses propositions des candidats à la primaire de la gauche sur l’Europe ont été abordées lors du deuxième débat dimanche 15 février, mais rapidement éludées par la question des migrants. Benoît Hamon, qui propose un visa humanitaire pour les migrants, a affirmé que "la France p[ouvai]t accueillir davantage de migrants". "Aujourd'hui, sur cent migrants, deux viennent en Europe. Sur ces 2 réfugiés qui viennent en Europe, 1,5 va en Allemagne, sur le demi réfugié qui reste, la moitié est en Suède", a-t-il ajouté. Manuel Valls, lui, trancher net : "La France ne peut plus accueillir de migrants. L'Europe, ce sont des frontières. Si nous ne sommes pas capables de protéger nos frontières, c'est l'espace Schengen qui sera mis en cause".
La ligne de fracture est actée. "Le thème de l’Europe révèle l’ampleur de la division du Parti socialiste", estime Brunos Cautrès, chercheur au Cevipof. Mais cette double culture est loin d'être nouvelle. Retour en 2005 : le référendum sur la Constitution européenne (rejeté par 54,68 % des Français) divise fortement le Parti socialiste, qui organise en amont un vote en interne sur le sujet. Si le premier secrétaire du parti de l’époque, François Hollande, milite pour le "oui" (qui l’emportera à plus de 59 %) un courant dissident, le Nouveau Parti socialiste (NPS), fait alors campagne pour le "non". Parmi les nonistes figurent Arnaud Montebourg, Vincent Peillon et Benoît Hamon… Ils défendent le "tout pour l'emploi, et tout contre les délocalisations". "À l’époque, Manuel Valls, également issu de cette génération de jeunes socialistes, hésitait à se rallier au mouvement, mais est finalement resté fidèle à François Hollande", rappelle le chercheur.
La gauche des responsabilités vs. la gauche des valeurs
Depuis," le PS n’a jamais réussi à combler ce fossé", souligne Bruno Cautrès. Au fil du temps, chacun a évolué en restant ancré dans ses positions. Lors de la primaire socialiste de 2011, "Manuel Valls faisait campagne en se positionnant comme le candidat 'social-libéral'. Il continue aujourd'hui de représenter la gauche des responsabilités, alors que Benoît Hamon et Arnaud Montebourg incarnent la gauche des valeurs et de la transformation sociale", poursuit-il.
De son côté, Arnaud Montebourg, fervent défenseur de la démondialisation, propose de créer un bloc de pays réformateurs du Sud, qui s’opposerait au pays du Nord plus conservateurs, afin de sortir de l’austérité et d’arrêter le dumping social. "Hollande l’avait proposé en 2011, et n’y était pas arrivé", note le chercheur du Cévipof. Doit-on y voir un effet d’annonce ou de la pure utopie ? "La France est dans une dynamique franco-allemande, explique-t-il. Elle n’est pas en mesure de s’opposer à l’Allemagne qui reste le patron de l’UE avec son excédent budgétaire".
Surtout que la France ne devrait pas vériteblement pouvoir compter sur des États membres trop affairés par leurs problèmes internes : le Royaume-Uni avec le Brexit, l’Espagne avec son référendum sur l’indépendance de la Catalogne, ou l’Italie avec sa crise politique et institutionnelle.
"La France n'est pas en mesure d’engager un rapport de force en Europe"
Seule, la France ne pèse donc pas lourd à la Commission européenne. Aux yeux de Bruxelles, Paris n’est toujours pas capable de maintenir ses objectifs de réduction des déficits publics. Par conséquent, le plan de relance de 1 000 milliards d’euros proposé par Vincent Peillon paraît irréaliste d’un point de vue politique. "L’UE a les moyens de cette ambition, mais les conditions ne sont pas réunies pour qu’aujourd’hui, la France engage un rapport de force en Europe", commente Bruno Cautrès.
L’instauration d’un smic européen, proposé par plusieurs prétendants à la primaire de la gauche (Manuel Valls, Benoît Hamon, Jean-Luc Bennahmias et Sylvia Pinel), paraît tout aussi difficile à mettre en place. "Il semble compliqué d’harmoniser un smic européen, qui n’a pas la même valeur pour les 28 membres", estime pour sa part la directrice générale de la fondation Robert Schuman, Pascale Joannin. En 2017, le salaire minimum oscille entre 215 euros brut par mois en Bulgarie et 1 922 euros au Luxembourg.
Selon Bruno Cautrès, un seul candidat propose une bonne lecture de l’Europe : Emmanuel Macron, qui était la semaine dernière à Berlin pour discuter avec Angela Merkel. À cette occasion, il s’est érigé en fervent défenseur de l’Union européenne. "Il tient un discours clair et cohérent aux Français et est en phase avec le partenariat avec l’Allemagne", conclut le chercheur.