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La grâce présidentielle et la libération de Jacqueline Sauvage ont provoqué une levée de boucliers chez les magistrats, qui dénoncent une incursion du pouvoir politique dans un dossier plus complexe qu’il n'en a l’air.
Après quatre ans sous les verrous, c’est en femme libre que Jacqueline Sauvage fêtera l’arrivée de 2017. Cette mère de famille condamnée pour le meurtre de son mari violent a bénéficié, mercredi 28 décembre, d’une grâce présidentielle totale à la suite d'une intense mobilisation médiatique en sa faveur.
Pour la classe politique et les soutiens de Jacqueline Sauvage, la cause est entendue : cette femme de 69 ans qui a abattu son "bourreau" en 2012 est le symbole des femmes battues sous l’emprise psychologique de leurs conjoints, qui subissent violences et abus sans chercher de l’aide à l’extérieur.
J'ai décidé d'accorder à Jacqueline Sauvage une remise gracieuse du reliquat de sa peine. Cette grâce met fin immédiatement à sa détention.
— François Hollande (@fhollande) 28 décembre 2016Un symbole qui valait le coup de "piétiner" l’indépendance de la justice, pour reprendre l’expression de l’Union syndicale des magistrats (USM), qui s’insurge contre la grâce totale accordée par François Hollande.
"On a un président de la République qui remet en cause plusieurs décisions de justice", a expliqué Virginie Duval, la présidente de l’USM, sur l’antenne d’Europe 1. "On a deux cours d'assises différentes, avec des jurés populaires qui avaient connaissance de toute l'affaire, de toute la situation, qui ont décidé de prononcer une peine de dix ans d'emprisonnement et puis ensuite on a des magistrats professionnels, avec des avis de psychiatres, d'experts, qui ont décidé de ne pas prononcer de libération conditionnelle", rappelle la magistrate.
Grâce présidentielle à double détente
Pour la justice, la grâce de Jacqueline Sauvage s’apparente en effet à un double camouflet.
François Hollande a décidé dans un premier temps, le 31 janvier dernier, d’aller à l’encontre des jurés et de prononcer une grâce partielle permettant à Jacqueline Sauvage de présenter une demande de libération conditionnelle. Demande refusée à deux reprises en août et en novembre 2016 par des juges qui estimaient que la condamnée était maintenue dans "une position victimaire" par ses nombreux soutiens et qu’elle ne s’interrogeait pas assez sur son crime.
Grâce de Jacqueline Sauvage : « La vérité n’est pas celle des comités de soutien » https://t.co/bzvACRDdHt
— USM Magistrats (@USM_magistrats) 29 décembre 2016Les juges n’ayant pas obtempéré aux injonctions politiques, François Hollande a de nouveau pressé la gâchette, mercredi, pour faire usage de son pouvoir de grâce, "totale" cette fois-ci, et obtenir la libération immédiate de Jacqueline Sauvage.
"La grâce présidentielle, c’est vraiment cet héritage de l’Ancien régime. On est dans une forme arbitraire de l’exécutif", a expliqué à l’AFP Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature. "Le risque aujourd’hui, c’est qu’on en vienne à une justice d’opinion dans laquelle, de fait, ce soit l’opinion qui conduise la président de la République à prendre une décision à des fins politiques", a souligné la magistrate.
Un meurtre libérateur
C’est en effet grâce à un savant battage médiatique que la défense de Jacqueline Sauvage est parvenue à transformer sa série d’échecs judiciaires – les jurés des cours d’assise ayant repoussé l’argument de la légitime défense – en une libération anticipée saluée par l’ensemble de la classe politique.
Jacqueline Sauvage a été présentée par ses soutiens comme l’incarnation d’un idéal-type de femme battue ; une victime maintenue sous l’emprise psychologique d’un monstre incestueux pendant plusieurs décennies. Devant le tribunal de l’opinion, l’exécution du conjoint devenait ainsi un acte libérateur nécessaire, mettant un terme à "47 ans d’enfer conjugal", selon la formule consacrée par la presse.
Alors que cette version symbole de la cause des femmes battues décollait dans les médias, l’institution judiciaire continuait à examiner les faits de manière terre à terre. Plusieurs spécialistes des affaires judiciaires ont disséqué les comptes rendus du procès et souligné les éléments qui ont poussé les jurés à prononcer une condamnation de 10 ans de prison.
Loin du cliché de la victime impuissante et sans voix, Jacqueline Sauvage y apparaît comme une forte personnalité qui n’a pas hésité à poursuivre et frapper une ancienne maîtresse de son conjoint. La condamnée pratiquait la chasse et c’est avec son propre fusil qu’elle a abattu son mari, de trois balles dans le dos, le 10 septembre 2012. Hormis une marque à la lèvre, les enquêteurs n’ont relevé aucune trace des violences que Jacqueline Sauvage affirmait avoir subies lors d’une féroce dispute quelques heures avant le meurtre. Enfin, les enquêteurs ont établi que Jacqueline Sauvage n’était pas au courant du suicide de son fils, la veille du jour du meurtre.
Le cas de Jacqueline Sauvage, victime impuissante ou criminelle inconsciente, remet en lumière, par la grâce dont elle vient de bénéficier, la question de l'indépendance de la justice en France.