logo

La youtubeuse qui a piégé Juncker dévoile les dessous de son coup monté

La Française Lætitia Nadji, qui avait interviewé Jean-Claude Juncker à la demande de YouTube, raconte comment elle est parvenue à faire tourner l’opération de communication du géant américain en fiasco avec la complicité de youtubeurs politiques.

L’affaire avait fait grand bruit sur les réseaux sociaux en septembre 2016. Une youtubeuse spécialisée dans l’écologie et le bien-être avait piégé la plateforme de Google en refusant de poser des questions trop policées, lors d’une interview en direct du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, organisée par YouTube.

Quelques jours après l’entretien, Lætitia Nadji, 32 ans, révélait dans une vidéo, preuves à l’appui, qu’elle avait subi des pressions de la firme américaine pour l’empêcher de poser des questions gênantes au dirigeant européen, comme sur l'affaire LuxLeaks, qui concerne directement l’ex-Premier ministre luxembourgeois.

"Tu fais mal à YouTube"

La dernière vidéo de Lætitia Nadji, mise en ligne dimanche 26 décembre et intitulée "Pardon YouTube : comment on a hacké Google et la Commission européenne", dévoile l’intégralité des pressions subies par la youtubeuse de la part de Google, qui a tenté de la dissuader d’aborder les sujets sensibles. À la veille de l’interview, un cadre du groupe lui explique notamment qu’elle risque de "faire long feu sur YouTube" si elle s’obstine à poser ce genre de questions.

On y apprend que Lætitia Nadji a prémédité son coup aux côtés de quatre autres jeunes youtubeurs français, dont les fondateurs de la chaîne politique "Osons Causer", qui se sont fait connaître par de nombreuses chroniques postées contre la Loi travail et durant le mouvement "Nuit debout". "À cinq couillons, on a réussi à mettre en difficulté la boîte la plus puissante du monde", s'amuse Ludovic Torbey, 29 ans, l’un des quatre complices de Lætitia Nadji.

Avant l’interview de Jean-Claude Juncker, un ami de la jeune femme la filme pendant tout son séjour à Bruxelles. Dans les coulisses, l’équipe des youtubeurs d’"Osons Causer" prépare la jeune femme, qui va devenir leur porte-voix. "On s’est dit : ‘Lætitia, ils ne vont pas la voir venir, elle fait une chaine ‘lifestyle’, la politique, a priori, ce n’est pas son truc. En préparant ensemble les questions, on allait pouvoir les bousculer dans leurs projets", explique Ludovic Torbey.

"Je suis vraiment [considérée comme] la ménagère"

"J’ai été très surprise que [YouTube] me contacte, moi. Je me suis demandé pourquoi ils n’avaient pas proposé ça à des chaînes plus politiques", explique Lætitia dans cette vidéo postée dimanche. En effet, loin des jeux de pouvoir, la Française anime depuis janvier 2015 une chaîne intitulée "Le corps. La maison. L’esprit", sur laquelle 70 000 abonnés suivent quasi quotidiennement ses interventions sur les thématiques d’écologie, de recyclage et de bien-être.

<3 <3 <3

Une photo publiée par Le Corps La Maison L'Esprit (@lecorpslamaisonlesprit) le 12 Sept. 2016 à 7h44 PDT

Une partie de mon décors! #askjuncker

Une photo publiée par Le Corps La Maison L'Esprit (@lecorpslamaisonlesprit) le 13 Sept. 2016 à 5h25 PDT

Sur place, elle découvre d’ailleurs que le plateau de télévision qui lui est consacré est rose bonbon, assorti de livres de cuisine, alors que les deux autres youtubeurs européens sélectionnés pour le même projet - des hommes - ont interviewé le responsable européen dans un décor de bureau. "Je suis vraiment [considérée comme] la ménagère", dénonce-t-elle face caméra. Sur un écran qui annonce l’événement, elle se rend compte qu’elle figure sous le simple prénom de "Lætitia". Son nom de famille a été omis, ce qui n’est pas le cas des deux autres youtubeurs masculins.

Autre sujet gênant que la jeune femme souhaite aussi évoquer : les sanctions de la Commission européenne contre Apple pour évasion fiscale en Irlande. Un point qui embarrasse son interlocuteur chez Google. Il lui conseille de ne mentionner aucune compagnie tech. "Tu fais mal à YouTube. […] C’est cracher dans la soupe", lui répète-t-il à plusieurs reprises. Dans cette nouvelle vidéo, on apprend aussi que les pressions exercées par la firme se sont multipliées bien avant, au moment où Lætitia Nadji a lancé un appel sur Youtube pour récolter les questions les plus pertinentes auprès de ses abonnés. Elle reçoit d’abord un appel téléphonique de Google deux semaines avant l’interview : "Là, ça devient des questions assez osées pour un président de la Commission européenne", lui lâche-t-on.

YouTube se décharge sur son collaborateur

"Le contrat de base, c’était que je devais être libre de poser mes questions et que Juncker ne devait pas être au courant de mes questions avant l’interview", se plaint Lætitia Nadji. Car dans les faits, la jeune femme se retrouve obligée de faire valider ses questions par Google et l’une des porte-parole de Juncker. À la dernière minute, elle feint de se plier aux exigences de la plateforme, de peur que son interview ne soit annulée.

Aux côtés de Lætitia Nadji, Lukasz Jakobiak, un youtubeur polonais sélectionné lui aussi pour l’opération de communication de la firme américaine, se plaint pour sa part d’avoir dû supprimer deux questions.

Réagissant aux accusations formulées par Lætitia Najib, YouTube avait assuré en septembre que sa plateforme encourageait "la liberté d’expression". L’entreprise aurait même désavoué le collaborateur qui avait exercé les pressions sur la youtubeuse : "Ses recommandations étaient déplacées, et ne reflètent pas les valeurs de YouTube. Nous enquêtons depuis en interne, pour comprendre ce qu’il s’est passé." Soucieuse de sa communication, YouTube n’a pas empêché Lætitia et ses acolytes de publier cette nouvelle vidéo qui n’est pourtant pas à son avantage.