Les évêques catholiques de RDC exigent qu'un accord de sortie de crise soit trouvé avant Noël. Acteurs respectés de l’histoire politique du pays, ils pèsent cependant peu face à la détermination du président Joseph Kabila de rester au pouvoir.
Les évêques catholiques de la République démocratique du Congo ont fixé leur ultimatum à une date fortement symbolique. La Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) exige qu’au plus tard le dimanche 25 décembre, jour de Nativité, un accord soit trouvé pour sortir le pays de la crise provoquée par le maintien au pouvoir du président Joseph Kabila. Les réunions se multiplient à Kinshasa mais elles butent notamment sur l'avenir du chef de l'État. La coalition de l’opposition, "le Rassemblement", menée par l’opposant historique Étienne Tshisekedi, souhaite son départ immédiat.
Les pourparlers, sous l'égide de la Cenco, ont débuté le 8 décembre avant d’être suspendus le 17 décembre en l'absence de la moindre avancée. Ils ont repris le mercredi 21 janvier, au lendemain d’une journée de violences dans le pays. La police a fait état de 22 morts dans des heurts entre manifestants, policiers et militaires, tandis que l’ONG Human Rights Watch avance le nombre de 34 personnes tuées par les forces de sécurité, lors de manifestations à Kinshasa contre Kabila.
"Si les acteurs politiques et de la société civile n’arrivent pas à un compromis à cette échéance, la Cenco en tirera toutes les conséquences qui s’imposent", a déjà averti Monseigneur Marcel Utembi, président de la Cenco, sans en dire davantage.
Lundi 19 décembre, une délégation de la conférence épiscopale a été reçue, à Rome, par le pape François. Une rencontre qui a, semble-t-il, provoqué un sursaut chez les évêques, comme le confie à France 24 Donatien Nsholé, le secrétaire général adjoint de la Cenco : "Le pape est conscient que le peuple congolais souffre cruellement et demande à ceux qui ont des responsabilités politiques d’avoir à cœur le bien commun. Forts de ces recommandations, de ces préoccupations du Pape, les évêques disent qu’ils ne peuvent plus se contenter d’être de simples accompagnateurs, alors que le peuple souffre. Les choses prennent une dynamique nouvelle".
La Cenco, un acteur historique et respecté des transitions politiques en RDC
L’Église catholique a toujours historiquement été très engagée sur la scène politique congolaise et jouit d'une popularité qui dépasse largement le cercle de ses fidèles, environ 40 % des quelque 70 millions de Congolais. "À l’époque de Mobutu, au pouvoir entre 1965 et 1997, l’épiscopat était traversé par deux courants : [les évêques] du Nord soutenaient le dictateur, les autres le combattaient. Cette tendance s’est inversée avec l’arrivée de Kabila, en 2001. L’Est et le Sud se sont mis à soutenir le pouvoir en place, tout en maintenant une unité de façade", explique Ignace Ndongala Maduku, docteur en sciences des religions, professeur à l’université de Montréal, et auteur de "Religion et politique en RD-Congo", dans un entretien accordé au journal La Croix, mardi 20 janvier.
"En coulisses, la rédaction de documents de la Conférence épiscopale du Congo a parfois suscité des tensions. Mais au fil des années, ces tensions se sont estompées et depuis le mémorandum adressé au président Kabila en février 2013, l’épiscopat congolais parle désormais d’une seule voix lorsqu’il s’élève contre les changements constitutionnels nécessaires au maintien de Joseph Kabila à la tête du pays", ajoute-t-il.
"La Cenco, qui représente le corps épiscopal, a une probité morale avérée", estime ce spécialiste. "Dans l’imaginaire du peuple congolais, les évêques sont les seuls à représenter une institution chrétienne crédible, dont les leaders ne sont ni achetés ni achetables. Depuis des années, l’Église s’est toujours impliquée pour la conscientisation de la population et la préparation des échéances électorales. […] En 2006 et 2011, les évêques ont toujours joué un rôle de médiation entre le pouvoir et l’opposition, et cela a laissé dans l’Histoire un souvenir de neutralité et d’impartialité. L’opposition et le pouvoir ont, de fait, recours aux offices de l’Église catholique, de même que la communauté internationale, qui est démunie face à l’entêtement du président Kabila."
Une médiation qui a peu de chances d’aboutir
Enseignant en sécurité et conflit en Afrique, Thierry Vircoulon se veut extrêmement prudent, voire pessimiste, sur l’issue de ces nouveaux pourparlers. Dans une tribune publiée sur le site The Conversation, il estime que "cette médiation a peu de chance d’aboutir". Selon lui, "le pouvoir anticipe d’ailleurs son échec comme l’indique le renforcement de sécurité à Kinshasa. Pour les autorités congolaises, la semaine prochaine est une semaine à haut risque : elles ont déjà interdit les matchs de football et ont demandé aux sociétés de télécom de couper les réseaux sociaux". À Kinshasa, les forces de l'ordre restent déployées massivement et la vie n'a repris que timidement.
Désigné pour prendre les rênes du pouvoir en 2001 après l’assassinat de son père, le président Laurent-Désiré Kabila, puis élu en 2006 et réélu en 2011 à la faveur d’un scrutin contesté, Joseph Kabila n’est pas autorisé, selon la Constitution du pays, à briguer un troisième mandat. Il a malgré tout décidé de rester, s’entendant avec une frange minoritaire de l’opposition pour son maintien jusqu’à l’organisation d’une nouvelle élection en 2018, annulant celle devant se tenir fin 2016. Ses opposants craignent que cette période ne soit un prétexte pour modifier la Constitution, ce qui lui permettrait de rester durablement en place.