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À quatre mois de la présidentielle, l’armée française engage le combat budgétaire

La tribune du chef d’état-major des armées, Pierre de Villiers, plaidant pour une revalorisation rapide du budget de la Défense a relancé le débat sur les moyens de l’armée française, quelques mois avant l’élection présidentielle.

L’armée française a tiré sa première salve dans la campagne présidentielle par la voix de son chef d’état-major, Pierre de Villiers, dans une tribune, publiée mercredi 21 décembre, plaidant pour une hausse significative du budget militaire. En bon tacticien, le haut-gradé a choisi le terrain opportun – un quotidien d’actualité économique, Les Échos – et le moment propice : les formations politiques se mettent en rang de bataille pour l’élection présidentielle de 2017.

À quatre mois du premier tour, le général Pierre de Villiers a donc engagé le combat budgétaire en demandant de porter l'enveloppe de la Défense de 1,77 % du PIB (32,7 milliards d’euros) actuellement à 2 % du PIB (41 milliards d’euros) d’ici 2020. Cette rallonge d’un peu plus de 8 milliards d’euros est nécessaire, selon le haut-gradé, pour permettre à l’armée de régénérer ses capacités de déploiement à l’étranger tout en maintenant la crédibilité de sa dissuasion nucléaire.

A lire sur @LesEchos, la tribune de Pierre de Villiers "Le prix de la paix, c’est l’effort de guerre" : https://t.co/lI5OvfCcTc pic.twitter.com/BPtUg0B0zL

— Groupe DCI (@GroupeDCI) 22 décembre 2016

"Cet effort (…) ne pourra être ni allégé ni reporté, en dépit de la complexité de l'équation budgétaire étatique prévisionnelle", écrit le général Pierre de Villiers. Pour faire passer la pilule auprès des décideurs économiques qui lisent Les Échos, le chef d’état-major des armées sort sa calculette et avance que chaque euro investi dans la défense "représente deux euros de retombées pour l'économie nationale avec des effets de levier extrêmement puissants en matière de recherche et de développement, d'aménagement du territoire, d'emploi, d'exportations et, in fine, de compétitivité".

Le cri d’alerte du patron de la grande muette a agité le microcosme politico-militaire français jusqu’au sommet de l’État. Tout en concédant des "efforts supplémentaires" à faire, François Hollande a déclaré que l’armée avait aujourd’hui "les ressources nécessaires par rapport à [ses] objectifs".

Bataille de calendrier

L’enjeu crucial, aux yeux des spécialistes des affaires militaires, est de sanctuariser au plus vite le budget de l’armée dans un contexte marqué par plusieurs opérations à l’étranger et un regain de menace terroriste sur le territoire national. C’est pourquoi le général Pierre de Villiers insiste sur la date de 2020 pour atteindre les 2 % de PIB consacrés à la défense, tandis que plusieurs candidats à l’élection présidentielle – tels François Fillon et Manuel Valls – ne s'engagent à atteindre cet objectif qu'en 2025.

"Comme toujours, les militaires pensent sur le temps long. Pour changer des équipements, il faut dix à vingt ans et aujourd’hui les équipements sont usés parce qu’ils sont anciens et qu’ils sont beaucoup utilisés en opération (…) [Pierre de Villiers] pense qu’il faut le dire haut et fort avant que la bataille politique ne s’engage vraiment", explique le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission française en Centrafrique auprès de l’ONU, sur l’antenne de FRANCE 24.

L'armée française à bout de souffle? de @antoinehasday Analyses @ElieTenenbaum @IFRI_ @Marsattaqueblog @Michel_Goyahttps://t.co/lMZ9adv5e6

— Ultima Ratio - Ifri (@UltimaRatio_) 21 décembre 2016

Vu le contexte actuel, il est difficile pour les candidats à la présidentielle de ne pas caresser l’armée dans le sens du poil.

Selon l’éditorialiste et directeur adjoint du Figaro Yves Thréard, la tribune ouverte de Pierre de Villiers vise ainsi à mettre sous pression François Fillon – dont il a été le chef de cabinet militaire à Matignon – pour obtenir que le candidat de la droite s’engage ouvertement à avancer la revalorisation du budget de l’armée.

Du côté de la gauche, l’ex-premier ministre Manuel Valls a pris un ton martial, mercredi sur Europe 1, pour donner raison au chef d’état-major des armées tout en glissant qu’il campait sur son calendrier initial de 2025.

Pour l’heure, seule Marine Le Pen est donc rentrée dans le rang en promettant une revalorisation immédiate du budget de la Défense, avec l’objectif de le porter à 3 % du PIB en 2022. Et, pour enfoncer le clou à quelques jours de Noël, la patronne du Front national a promis de commander un deuxième porte-avions si elle était élue présidente.

Huit milliards pour quoi faire ?

Le chef d’état-major des armées parle dans sa tribune du "prix de la paix" pour appuyer sa demande. Et si la Défense n’obtient pas sa rallonge de huit milliards d’euros d’ici 2020, c’est effectivement une véritable guerre budgétaire interne qui menacera l’institution militaire française, sommée d’arbitrer entre plusieurs programmes clefs concurrents.

Là aussi, le haut-gradé a tiré le premier en insistant dans sa tribune sur la sanctuarisation de l’arme nucléaire. Évoquant "l’indispensable crédibilité de la dissuasion nucléaire", le général Pierre de Villiers souligne l’importance de la force de frappe française dans un contexte marqué par le retour militaire de la Russie et les incertitudes d’une présidence Trump aux États-Unis.

"Pour être soutenable, l'effort doit être lissé sur les quinze prochaines années ; il en va de la cohérence de notre défense au moment du retour des États puissances. Différer cette décision acterait, en réalité, un véritable renoncement", affirme le chef d’état-major des armées.

Un "renoncement" qui est n’envisagé que par une petite minorité de parlementaires, mais qui pourrait prendre de l’ampleur si la menace terroriste actuelle continuait à prendre le pas sur les conflits interétatiques traditionnels.

"Je ne suis pas sûre que l’arme nucléaire soit la plus utile pour lutter contre le terrorisme, pour lutter face à certains enjeux de sécurité que nous avons aujourd’hui", affirmait ainsi Leila Aïchi, sénatrice et vice-présidente de la commission des forces armées, dans l’émission le débat sur FRANCE 24. "Donner plus à l’arme nucléaire, c’est de l’argent en moins pour les soldats et pour le renouvellement du matériel dont nous avons besoin", conclut la femme politique, qui en appelle au partage des dépenses militaires avec l’Union européenne.

Sans rallonge budgétaire, le financement de l’arme nucléaire va donc peser de plus en plus lourd sur le budget de la Défense.

"Si nous restons dans les limites actuelles, qu’est-ce qui sera sacrifié ? Le reste, c'est-à-dire qu’on aura peut-être du personnel mais on n’aura plus l’équipement nécessaire", affirme ainsi le général Dominique Delort sur l’antenne de FRANCE 24.

Une telle disette budgétaire ne manquerait pas de relancer les critiques sur le ratio coût / efficacité de l’opération Chammal, lancée en 2014 en Irak et en Syrie contre l’organisation État islamique. Une intervention dont un ancien colonel de marine estimait en septembre 2016 qu’elle coûtait environ 1 million d’euros par combattant ennemi tué.