
Aux Philippines, depuis l’arrivée au pouvoir de Rodrigo Duterte, fin juin, il ne se passe pas une nuit à Manille sans la découverte en pleine rue de dizaines de corps criblés de balles. Le nouveau président s’est lancé dans une guerre sans merci contre les trafiquants et les consommateurs de drogue. Plus de 5 000 personnes ont déjà perdu la vie, tombées sous les balles de la police ou de civils jouant les justiciers. Et le président philippin n’a pas l’intention de s’arrêter là. Reportage.
Durant sa campagne électorale, Rodrigo Duterte, qui multiplie les déclarations fracassantes, avait promis des morgues pleines à craquer. C’est chose faite. Le nouveau président philippin s’est lancé dans une guerre sans merci contre le narcotrafic. Une guerre qui consiste à éliminer physiquement tous les consommateurs et les trafiquants de drogues. Et qui se chiffre en milliers de cadavres.
Depuis sa prise de fonction, selon des chiffres officiels, plus de 5 000 personnes ont perdu la vie dans le cadre d’opérations policières ou de règlements de compte. Car aux Philippines, la lutte contre la drogue n’est pas menée uniquement par les policiers. Des tueurs à gage ou des groupes d’autodéfense armés sont également soupçonnés de s’en prendre aux trafiquants et même aux simples consommateurs de stupéfiants. Les deux tiers des homicides portent leur signature.
La prison plutôt que la rue
Cette loi de la jungle est encouragée par Rodrigo Duterte lui-même. Le président philippin incite les citoyens à prendre les armes contre les consommateurs et les trafiquants de drogue. Il promet même des primes de plusieurs milliers de pesos par délinquant exécuté...
Pour se protéger, 700 000 toxicomanes ont préféré se rendre aux autorités tandis que 26 000 autres personnes ont été arrêtées et sont actuellement derrière les barreaux des prisons déjà surpeuplées du pays. C’est le cas de la prison de Quezon City, au Nord de Manille. Conçue pour accueillir 800 personnes, la prison en compte aujourd’hui 3 700. Plus de 60 % des détenus sont ici pour des infractions liées à la drogue. Bien que les conditions de vie y soient extrêmement rudes, certains prisonniers sont soulagés d’y être emprisonnés plutôt que vivre avec l’angoisse de prendre une balle à l’extérieur.
Impitoyable escalade de la violence
Des voix ont beau s'élever pour condamner la sanglante guerre contre la drogue du président Duterte, rien ne semble pouvoir l'arrêter. L’ONU, une bonne partie de la communauté internationale, l'Église, la vice-présidente des Philippines ou encore l'opposition ont toutes dénoncé cette impitoyable escalade de la violence, de même que la Commission nationale philippine des droits de l’Homme, qui enquête sur 250 cas d’exécutions extrajudiciaires. Mais l'homme fort de Manille, qui s’est fait élire sur un programme ultra-sécuritaire, anti-drogue et anti-criminalité, ne se laisse pas impressionner.
Pendant sa campagne, il avait promis d'en finir en six mois avec le trafic de drogue et la criminalité. Il s’est récemment octroyé six mois supplémentaires et se targue d’avoir fait baisser de 39% la criminalité depuis son investiture. Les saisies de "shabu", la méthamphétamine locale qui selon lui ronge la société, auraient par ailleurs explosé. Mais quels sont réellement les résultats de cette macabre politique anti-drogue ? Et les moyens de prévention et de soin déployés? À l'heure actuelle, ils semblent bien faibles. On ne compte que 40 centres de désintoxication dans tout l’archipel et seuls quatre nouveaux centres sont en cours de construction, pour les 1,8 millions de toxicomanes que comptent les Philippines.
Nos reporters Ophélie Giomataris et Marianne Dardard ont enquêté aux Philippines sur cette guerre sans pitié contre le narcotrafic.