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Exposition à Paris : le premier génocide du XXe siècle, le massacre des Herero et des Nama

Méconnu, le massacre des Herero et des Nama a fait plus de 75 000 morts entre 1904 et 1908, dans l'actuelle Namibie alors sous domination allemande. Pour lever le voile sur ce drame, le mémorial de la Shoah, à Paris, lui consacre une exposition.

Dans les vitrines du mémorial de la Shoah, l’œil du visiteur est attiré par de simples petites vignettes aux couleurs vives. Des images qui rappellent l’enfance, lorsqu’on aimait collectionner ces petits bouts de papier. Pourtant, en y regardant de plus près, elles n’ont rien d’innocentes. Elles représentent des scènes épiques de combats de guerriers se battant à coups de fusil. "On les trouvait dans des paquets de cigarettes ou de chocolats. Elles montrent des attaques entre les Herero et les forces allemandes", explique Sophie Nagiscarde, responsable du service des activités culturelles du mémorial de la Shoah, à Paris. "Ces vignettes servaient à répandre l’idée que les populations locales africaines étaient extrêmement violentes. Le but était de faire adhérer la population allemande au fait qu’il était important d’envoyer une force militaire pour écraser la colonie".

Pour la première fois, ces dessins, datant du début du XXe siècle, sont présentés par le Mémorial. Le lieu de l’histoire des juifs en France a décidé de consacrer une exposition à un épisode particulièrement méconnu de la colonisation intitulée : Le premier génocide du XXe siècle Herero et Nama dans le Sud-Ouest africain allemand, 1904-1908.

"Une grande brutalité et un très fort dédain"

À l’époque, cette région est sous domination allemande. Un protectorat a été proclamé en 1884, mais les autorités du IIe Reich peinent à s’implanter malgré des traités de protection passés avec certaine communautés locales. Berlin décide alors d’envoyer des troupes dans la colonie et d’employer la manière forte. En 1893, un premier massacre a lieu sur le camp d’Hendrik Witbooi, le leader du peuple Nama, une population pastorale. Soixante-quinze femmes et enfants trouvent la mort.

Pendant les années qui suivent, l’administration coloniale allemande essayent d’imposer ses règles. Les abus se multiplient. Viols, passages à tabac, meurtres sont monnaie courante. "Les colons qui arrivaient pour s’établir traitaient les Africains avec une grande brutalité et un très fort dédain. Ce racisme affiché était dans l’air ambiant en Occident. Il a trouvé à s’épanouir dans cette région de l’Afrique", décrit Sophie Nagiscarde sur le parcours de l’exposition consacrée aux prémices du massacre.

Sur les murs, les portraits des principaux militaires allemands en charge de la colonie font face à ceux des chefs des communautés locales. Exaspérés par la situation, certains de ces derniers lancent une rébellion. Des Herero s’en prennent notamment à des fermes allemandes. Mais ces attaques entraînent une répression brutale, comme le raconte Sophie Nagiscarde : "Les autorités décident d’envoyer dans la colonie le général Lothar von Trotha, un officier qui s’était déjà signalé dans des violences notamment lors de la guerre des Boxers (NDLR: la révolte anti-occidentale qui s'est déroulée en Chine, entre 1899 et 1901). Il était connu pour être sans pitié et pour avoir une vision des Africains absolument déplorable. Il n’hésitait pas à verser le sang."

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Un ordre de destruction

Le général Lothar von Trotha débarque dans la colonie en juin 1904. Il donne l’ordre à ses troupes d’encercler un campement des Herero et de ne pas faire de prisonniers. Malgré cet assaut, quelques milliers d’entre eux réussissent à s’enfuir dans le désert. Les soldats allemands se lancent alors à leur poursuite et coupent l’accès aux points d’eau. Nombreux sont ceux qui succombent de déshydratation. Le 3 octobre, le massacre prend un autre tournant. Von Trotha émet un ordre de destruction dans lequel il écrit que tout Herero présent sur le "territoire allemand" sera abattu.

Ce texte, retrouvé aux archives du Botswana, figure en bonne place dans l’exposition du mémorial de la Shoah. Il prouve le caractère génocidaire de ce massacre. "Tout est extrêmement documenté", insiste ainsi Sophie Nagiscarde. En 1905, le général von Trotha fait une nouvelle déclaration qui menace les Nama du même sort. Pour ceux qui survivent, le calvaire ne fait que commencer. Les prisonniers sont internés dans des camps de concentration et utilisés comme travailleurs forcés. Les conditions de vie sont terribles comme le montre de nombreuses photographies retrouvées par le Mémorial. À cette période, les autorités allemandes décident aussi d’autoriser la collecte de crânes humains chez les Herero et les Nama pour le compte de la recherche anthropologique. Ils sont envoyés directement en Allemagne.

Pendant des dizaines d’années, cette histoire est restée largement ignorée. Les Britanniques, qui avaient reconquis ces terres avec les Sud-Africains durant la Première Guerre mondiale, ont bien réalisé une enquête sur ces atrocités dans un rapport intitulé le "Blue Book", mais celui-ci a été occulté pour ne pas mettre en lumière les propres violences exercées par le Royaume-Uni en Afrique. Il faudra attendre l’indépendance de la Namibie en 1990 pour que la population locale redécouvre son passé. "Il y a eu à cette époque les premières cérémonies de commémoration. On a aussi commencé à identifier les premières fosses. Très vite, la question des réparations est aussi apparue", décrit Sophie Nagiscarde.

 L'Allemagne admet un crime de guerre et un génocide

Depuis plusieurs années, des associations herero et nama demandent en effet au gouvernement allemand des excuses, mais aussi des contreparties pour les massacres commis et pour les injustices incessantes. Plus de cent après, la majorité des fermes rentables sont toujours aux mains des fermiers blancs. Une première étape a été franchie à partir de 2011 avec la restitution de restes humains appartenant à des victimes et qui étaient jusque-là conservés dans des collections en Europe. Quatre ans plus tard, le gouvernement allemand a reconnu publiquement que les violences menées par ses troupes coloniales entre 1904 et 1908 constituaient bien "un génocide". En juillet dernier, c’est un autre pas symbolique qui a été effectué. Berlin a annoncé que des excuses officielles doivent être présentées avant la fin de l’année 2016.

Mémorial de la Shoah : Le premier génocide du XXe siècle Herero et Nama dans le Sud-Ouest africain allemand, 1904-1908, jusqu'au 12 mars 2017.