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Au Akaa, le marché de l'art contemporain africain attire les amateurs et les acheteurs

La première foire d’art contemporain dédiée aux artistes africains s'est tenue à Paris ce week-end au Carreau du Temple. L’Akaa - Also Known as Africa - a fait le plein d'amateurs et des acheteurs.

Un dicton sénégalais dit : "Lorsque Dieu t’applaudit, il faut danser." Avec 15 000 visiteurs en trois jours, la première foire d’art contemporain Akaa (Also Known as Africa), qui s'est tenue au Carreau du Temple à Paris, a rencontré un franc succès.
Au pied de la première installation qui accueille les visiteurs, la jeune Franco-américaine Victoria Mann, fondatrice de l'évènement, est particulièrement fière de présenter l’œuvre de l’artiste algérien Rachid Koraïchi. Intitulée "Les Maîtres invisibles", elle raconte les vies des 14 grands mystiques de l’islam à travers autant de tapis volants suspendus.
Dès l’entrée, le ton est donné. "Il était important pour moi de m'engager, parce que la foire avait été annulée l’année dernière à cause des attentats du 13 novembre commis par des gens qui cherchaient à détruire nos valeurs comme la liberté d’expression. C’est pour cela j’ai voulu démarrer cette première édition par l’œuvre de Rachid Koraichi", explique Victoria Mann.
 
Et parce qu’elle n’a pas l’Afrique dans le sang mais dans le cœur, elle a voulu une foire qui va au-delà des frontières : "Notre vision va au-delà du territoire africain, aujourd’hui c’est le thème de l’Afrique et tous ceux que cela fédère, sur le continent et dans la diaspora." Cette ouverture se ressent dans la diversité des stands d'artistes installés dans les allées de la foire : photographes, peintres, plasticiens, céramistes, architectes... tous les domaines sont mis à l’honneur.
Des artistes incontournables aux jeunes premiers
 
Dans le rôle du taulier, il y a Barthélémy Toguo. Immense artiste, ce Camerounais à l'œuvre protéiforme est aussi à l’aise dans la peinture, la vidéo, la gravure, la photo qu'avec la performance. Il est venu à Paris pour partager son projet "Bandjoun Station"  qui a pour ambition de dépasser un simple cadre artistique : "L'art classique et l'art contemporain africain se retrouvent en Occident, il fallait imaginer un projet pour ramener ces artistes africains sur le continent. Donc créer un centre d’art et un lieu de vie, des résidences qui soient en adéquation avec les populations locales de Bandjoun au Cameroun et en y associant un volet agricole important."
Aux côtés de cet incontournable, il y a des jeunes premiers qui ont crevé l’écran. C’est le cas du jeune céramiste béninois King, qui a eu une révélation en allant au Japon. Pour lui, la spiritualité du Vaudou et celle du Bizen Yaki japonais sont d'une évidente proximité. Ce jeune surdoué mélange des argiles de différentes terres pour créer ses œuvres. Un mélange aussi à l’œuvre chez son compatriote béninois, Charly D’Almeida, connu pour son travail de récupération de ferraille, et qui expose dans la même galerie.
Surprenante également, la collaboration ente le Zimbabwéen Admire Kamudzengerere et la photographe israélienne Rachel Monosov. À la faveur d’une résidence artistique à Harare l’année dernière, les deux artistes ont décidé de faire un projet ensemble. Du dialogue et de la rencontre artistique est né Pink Village, au sein de la Cantica Tabacaru Gallery.  

"Cette foire permet à toutes les diasporas de se rencontrer"
En parcourant les allées on constate que l’ouverture des frontières africaines est au cœur de l'Akaa. La rencontre des diasporas devient possible. Debout, devant l’œuvre de la sud-africaine Nobukho Nqaba, une jeune collectionneuse afro-américaine reste médusée devant cette série de photos dénommée "Umaskhenkethe" (le mot en Xhosa, langue de l’Afrique australe, utilisé pour décrire les sacs en filet de plastique fabriqués en Chine.
Ces sacs sont devenus les symboles mondiaux de la migration et de la recherche d’une vie meilleure. "Vous savez, nous , Africains , nous avons besoin de beauté pas seulement d’objets utiles. Et pour moi cette photo avec ce sac que l’on appelle Ghana Must Go aux États-Unis, ça représente vraiment ma culture afro-américaine, c’est ce que l’on utilise pour le linge, pour déménager, et en plus avec ses talons, c’est la femme dans toute sa splendeur."
À ses côtés, son compagnon, l’artiste nigérian Olalekan Jeyifous qui est représenté à la foire par la galerie londonienne 50 Golborne, arbore un sourire radieux, heureux de participer à la première édition d’Akaa en tant que Nigérian de la diaspora. "À cause de mon nom africain je me suis toujours considéré comme africain, mais je suis né aux États-Unis, d’un père nigérian et d’une mère américaine, explique-t-il. C’est pour cela que je suis ravi d’être dans cette foire qui permet à toute la diaspora de se rencontrer."
Transformer l’art en or
Une foire, c’est aussi un marché. Surtout un marché, diront certains. Et pénétrer ce marché de l’art est un défi pour les artistes africains. Pour l’heure, ils sont... bon marché, estiment les spécialistes. Les œuvres sur le salon s’échelonnent de 1 500 à 8 000 euros."Si les artistes africains ont le vent en poupe, on ne peut pas dire pour l’instant que le marché soit à la hauteur des investissements", constate Dominique Fiat, grande spécialiste de l’art contemporain africain.
En matière d’investissement, ce sont les galeries du continent africain qui sont le plus à la peine. En dehors des marchés sud-africain, nigérian ou angolais, la plupart des acheteurs africains ignorent les artistes, et hésitent à investir dans ce domaine. Mareme Samb Malong, fondatrice de la Galerie MAM à Douala (Cameroun) et de la fondation Donwahli à Abidjan, regrette le faible nombre d’investisseurs dans certains pays dont le Cameroun. "Mais il y a de l’éducation à faire", confie-t-elle avec un sourire.
Comme pour illustrer son propos, elle présente Siaka Traoré, Burkinabé né au Cameroun, ayant grandi au Togo et vivant au Sénégal. Lauréat du prix Orange Numérique 2016, il n’a pas trouvé preneur pour ses œuvres.
Au-delà du marché, Simon Njami, commissaire d’exposition reconnu, prêche pour un éveil des consciences africaines : "C’est bien de collectionner des Maserati mais vous devez savoir que collectionner de l’art, c’est important aussi. Nous sommes obligés d’aller au Quai Branly ou au British Museum pour voir les merveilles africaines. Nous n’avions pas le choix : ils sont venus avec des pistolets. Par contre, si demain nos enfants et nos petits enfants sont obligés d’aller dans les mêmes endroits pour voir les maîtres d’aujourd’hui, cette fois, ça sera notre entière responsabilité."