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Stephen Bannon, l’homme qui susurre à l’oreille de Trump et de l’extrême droite américaine

Le président élu Donald Trump a fait de Stephen Bannon son "haut conseiller et chef de la stratégie". Une récompense pour le patron du site d’ultra-droite Breitbart qui est aussi méconnu qu’influent… et dangereux ?

"Je réponds oui à l’invitation de Stephen Bannon de travailler ensemble." Sur Twitter, Marion Marechal Le Pen, la nièce de la présidente du Front National Marine Le Pen, s’est montrée enthousiaste à l’idée de collaborer avec l’un des hommes forts de la nouvelle Amérique de Donald Trump, samedi 12 novembre.

Quelques mois plus tôt, Stephen Bannon, qui vient d’être nommé "haut conseiller et chef de la stratégie" du 45e président des États-Unis, avait qualifié la députée frontiste d’"étoile montante" de la politique française. Il l’avait conviée à participer à la création d’une édition française de son site ultra-conservateur d’informations Breitbart avant l’élection présidentielle française.

Breitbart et l’"alt-right"

Si le projet éditorial de Stephen Bannon venait à se réaliser, plus d’un politicien tricolore aurait du souci à se faire. Breitbart et son patron ont largement contribué à la victoire de Donald Trump. Stephen Bannon a été le chef de campagne du candidat républicain et, pour beaucoup, le maître à penser de sa stratégie électorale victorieuse.

Cet homme de 62 ans a mis depuis plus d’un an la puissance de feu de son média au service quasi-exclusif du nouveau président. Et Breitbart ne fait pas dans la nuance. La virulence du site ferait passer le ton souvent outrancier de la chaîne Fox News pour des aimables discussions entre partenaires de bridge. Des articles comme "la solution au harcèlement en ligne est simple : les femmes doivent se déconnecter", "la contraception rend les femmes folles et laides", ou encore "Faits : les jeunes musulmans en Occident sont des bombes à retardement", y sont monnaie courante.

Pour présenter le président sortant Barack Obama comme un soutien à l'organisation terroriste État islamique (EI), Breitbart utilise le même ton : un mélange d'exagération et désinformation. Quant à la candidate malheureuse du Parti démocrate, elle a été qualifiée, tour à tour, de corrompue, malade, incompétente et coupée des réalités. L’establishment républicain n’échappe pas non plus aux attaques de Breitbart. Paul Ryan, le président républicain de la chambre des représentants, est ainsi l’une des cibles favorites de Stephen Bannon.

Et ça marche. De petit site d’opinions ultra-droitières, Breitbart est devenu une machine à clics qui génère 240 millions de pages vues et 37 millions de visiteurs uniques par mois. Il s’est transformé en port d’attache pour l’"alt-right" (alternative right, qui pourrait se traduire approximativement par droite anti-système), cette mouvance sur Internet qui regroupe des Américains qui n’ont pas honte d’afficher - en tout anonymat - leur racisme et leur sympathie pour les thèses néo-nazies. Par leur activisme sur les réseaux sociaux, ils ont, eux aussi, joué un rôle dans la victoire de Donald Trump.

Mais Breitbart n’est que l’une des facettes de Stephen Bannon. Né et élevé dans une famille de "cols bleus" aux convictions politiques de gauche, l’homme qui susurre aujourd’hui à l’oreille du président a fait sa conversion politique à partir de 1980, avec Ronald Reagan, qu’il admire encore aujourd’hui. Il bascule à la droite de la droite après la présidence de Georges W. Bush, qu’il trouve décevante.

De Goldman Sachs à Seinfeld

Entre temps, il a été officier de la marine, a décroché un diplôme de la Harvard Business School et a travaillé pour la banque Goldman Sachs. Il s’est aussi laissé tenter par les sirènes d’Hollywood. Il s’y fait, notamment, une petite fortune en acquérant les droits d’une série alors peu connue, mais promises à un brillant avenir : "Seinfeld".

D'après un portrait que lui a consacré Bloomberg, il tire de ces multiples expériences une certitude : les titres racoleurs ne suffisent pas à influencer l’opinion sur le long terme. À cette fin, Stephen Bannon participe à la création, en 2012, du Government Accountability Institute (GAI), un think tank conservateur qui ambitionne d’"enquêter et de dénoncer le capitalisme pourri, l’utilisation abusive de l’argent du contribuable, et la corruption du gouvernement". Son but affiché est de fournir des études sérieuses, vérifiées et prêtes à être reprises par les médias traditionnels. "L’économie moderne des médias ne permet plus aux rédactions de faire des enquêtes de longue haleine", a expliqué à Bloomberg Stephen Bannon. Lui possède l’argent de "Seinfeld" et la volonté de le faire. "C’est ainsi qu’il veut ‘hacker’ les médias de ‘gauche’ afin de distiller son idéologie de droite", résume Bloomberg.

Le livre "Clinton Cash", financé par le GAI, constitue la plus belle réussite de cette stratégie d’entrisme médiatique. Publié en mai 2015, ce best-seller, qui s’intéresse aux réseaux de financement d’Hillary Clinton, a largement été repris par les médias. Le New York Times s’est même inspiré de certaines thèses du livre pour en tirer des articles sur la candidate démocrate. La plupart des "révélations" de "Clinton Cash" ont par la suite été remises en cause, mais la campagne d’Hillary Clinton en avait déjà largement pâti. "Le livre a beaucoup contribué à façonner l’image que les Américains ont de la candidate", assure le site The Atlantic.

Cette double stratégie - l’outrance de Breitbart pour mobiliser la frange la plus extrême de l’électorat et les enquêtes du GAI pour rendre les thèses de Trump acceptables par tous - constitue le socle de la victoire de Donald Trump. Mais Stephen Bannon vise plus grand que la Maison Blanche. "Il est peut-être le seul au sein de la nouvelle équipe à avoir une vraie idéologie", estime le magazine de centre gauche The New Republic.

Le "haut conseiller" du président l’a d’ailleurs évoqué dans l’une des deux seules interviews qu’il a accordées durant la campagne présidentielle… à Breitbart : "Notre mouvement a un aspect global, car les gens veulent, un peu partout dans le monde, le retour des frontières et davantage de souveraineté." Il pense ainsi que les États-Unis peuvent devenir une sorte de fer de lance d’une révolution protectionniste mondiale. D’où son envie d’étendre la sphère d’influence de son site à deux pays européens en priorité : la France, où le Front national est devenu une force politique majeure ; et l’Allemagne, enfin, où le parti populiste Alternative für Deutschland (AfD) a le vent en poupe.