L’Amérique latine a accueilli l’élection de Donald Trump avec beaucoup d'interrogations. Au Mexique, à Cuba, en Colombie ou au Venezuela, la politique étrangère incertaine du futur locataire de la Maison Blanche inquiète.
Alors qu’il n’était encore que candidat à l’investiture républicaine, Donald Trump annonçait une mesure choc qui demeure l'une des plus emblématiques de son programme : il s’engageait à construire un mur à la frontière mexicaine afin d’empêcher les immigrés clandestins d'entrer aux États-Unis. Plus tard, pendant la campagne, il s'est prononcé contre l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) et a promis d’expulser 11 millions de Mexicains en situation illégale aux États-Unis.
Le journal mexicain Sin embargo, relayé par Courrier International, résume en une phrase le sentiment du pays au lendemain de cette élection surprise: “Les pires années sont à venir.”
"Une catastrophe terrible" redoutée au Mexique
Les conséquences sur l’économique mexicaine, déjà très affaiblie, ont été immédiates. "Le cours du peso a dévissé à des niveaux jamais vus depuis 20 ans, il a perdu 20 % de sa valeur après l’annonce de l’élection de Donald Trump", a constaté Gaspard Estrada, directeur exécutif de l’observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes. "L’incertitude sur la politique étrangère que Trump souhaite mettre en œuvre en Amérique latine crée une incertitude économique qui ne permettra pas aux pays, à court terme, de reprendre le chemin de la croissance", résume le spécialiste.
"Il existe une interrogation énorme sur ce que Donald Trump compte faire de la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Le commerce entre les deux pays est très important. Si la frontière était bloquée, ce serait une catastrophe terrible des deux côtés", estime Christian Girault, directeur de recherche émérite au CNRS associé au Centre de recherche et de documentation sur l'Amérique latine.
Cuba redoute un coup de frein dans le rapprochement
Les Cubains, eux, redoutent déjà de voir réduits à néant les efforts de rapprochement entre leur pays et les États-Unis initiés par l’administration Obama. Hasard du calendrier ou provocation, en guise de première réaction, le gouvernement de Raul Castro a annoncé dans la presse d'État la tenue prochaine de nouveaux exercices militaires "stratégiques" visant à faire face à une éventuelle invasion. Si ces manœuvres ne sont pas exceptionnelles, le moment choisi pourrait augurer d'une crispation de la relation entre les ex-ennemis de la Guerre froide quand le républicain arrivera au pouvoir en janvier prochain.
Donald Trump avait d'abord soutenu ce dégel entre les deux pays, mais une fois en campagne, il a affiché des réserves, regrettant que Barack Obama n'ait rien obtenu en échange des assouplissements à l'embargo consentis par Washington. Le mois dernier, il a même affirmé qu'il ferait "tout pour obtenir un accord solide" avec La Havane, laissant ainsi présager un coup de frein dans la normalisation des relations entre les deux pays.
"Pas de temps à perdre"
Au Vénézuela, "le triomphe du candidat républicain 'et de son offre raciste et nationaliste' ne semblait guère faire de doute tant la classe laborieuse est en souffrance", affirmait l’éditorialiste du site chaviste Aporrea. "Le Vénezuela est dans une crise économique et sociale totale avec une confrontation majeure entre le gouvernement et l’opposition qui ont engagé un semblant de dialogue. Le pays est au bord du soulèvement. Le président Obama avait une position très sévère sur ce sujet mais on ne connait pas celle de Donald Trump. S’il devait y avoir des affrontements directs, interviendrait-il ? Les États-Unis ont tout intérêt à ne pas le faire", explique Christian Girault.
La crainte d’une trop grande ingérance dans certains pays cohabite avec celle d’un abandon dans d'autres. C’est le cas de la Colombie, où la population a rejété un accord historique de paix visant à clore cinquante-deux ans de conflit avec les Forces armées révolutionnaires. "La Colombie est le meilleur allié des États-Unis, il existe une alliance militaire et politique, remettre cela en question serait une grave erreur du gouvernement Trump", selon le directeur de recherche au CNRS.
"Tous les pays d'Amérique latine ont une volonté de créer un dialogue avec l'administration Trump, mais avec qui ? On ne sait pas, insiste Gaspard Estrada. Cette attente et toutes les incertitudes sur la politique de Donald Trump pénalisent l'ensemble de la région qui n'a pas de temps à perdre. L'Amérique latine a besoin de relancer la machine, de développer son commerce."