à New York – Après la décision du FBI de ne pas rouvrir l'enquête sur l'utilisation des mails privés d'Hillary Clinton, quel en sera l'impact sur le résultat de l’élection et sur le FBI lui-même?
L’affaire des e-mails privés d’Hillary Clinton est sans doute le non-événement qui aura le plus de conséquences sur la campagne électorale et même au delà, pour au moins une des institutions américaines les plus célèbres et controversées : le FBI.
Son directeur, James Comey, semble avoir perdu toute crédibilité en dévoilant l’état de l’enquête sur l'utilisation par l'ancienne secrétaire d’Etat de Barack Obama d'un serveur d'e-mails privé utilisé au mépris de toutes les règles en vigueur et au risque d’exposer des secrets d’Etat. Fin octobre, le directeur du service de renseignement intérieur annonce que l’enquête close au mois de mars est rouverte suite à la découverte fortuite d’emails échangés par Mme Clinton avec une de ses collaboratrices, Huma Abedin. Quelque dix jours plus tard - et à moins de 48 heures de l’élection elle-même - James Comey informe le Congrès (et le public) qu’après examen des emails en question, il estime toujours que Mme Clinton n’a commis aucun crime et qu’il classe définitivement le dossier.
Bref, beaucoup, beaucoup trop de bruit pour rien. Si ce n’est le fait de renforcer chez beaucoup d’Américains (82% selon un sondage publié récemment) un sentiment de "dégoût" pour la politique. Pas exactement ce qu’il fallait dans un pays où un électeur sur deux a pris l’habitude de s’abstenir. Un tiers des personnes interrogées se disaient également « moins susceptibles » de voter pour la candidate démocrate.
Le FBI éclaboussé
Une chose est sûre : quelque soit le résultat de cette élection, le FBI sera inévitablement mis en cause pour avoir indûment interféré dans le choix des électeurs. Si Donald Trump gagne - scénario encore jugé improbable par la quasi-totalité des experts - les démocrates ne manqueront pas d’accuser le directeur du Bureau fédéral de leur avoir volé l’élection. Si Hillary Clinton l’emporte - sa probabilité de gagner restant supérieure à 80% dans toutes les études - c’est le magnat de l’immobilier, peu enclin à reconnaître sa défaite, qui montrera James Comey du doigt pour avoir blanchi une femme dont il répète que "tout le monde [la] sait coupable" et qu'elle "devrait aller en prison". Dans tous les cas de figure le FBI sera éclaboussé.
Al Franken, sénateur démocrate du Minnesota, a estimé samedi sur CNN que la commission judiciaire du Sénat devrait s’emparer de la question et faire comparaitre M.Comey. Il a par ailleurs accusé certaines "fripouilles" du FBI d’avoir fait bénéficier l’entourage de Donald Trump de fuites sur l’enquête visant leur adversaire. Il est probable que c’est justement la crainte de fuites qui a poussé le directeur du FBI à rendre publique la réouverture de l’enquête.
Le terrible Mr. Hoover
Ce ne sera pas la première fois que la probité du FBI et son image seront écornées. Le "Bureau fédéral d'investigation" est censé veiller sur l’Amérique et la protéger depuis 1924 aussi bien des organisations terroristes et criminelles que des agissements déloyaux ou dévoyés de sa classe politique et de son administration.Tout le monde a au moins une petite idée sur ces agents très spéciaux qui ont pratiquement tout pouvoir et la réputation de ne se laisser intimider ni par la puissance de leurs proies, leur réputation ou leurs menaces. Ne serait-ce que parce que le cinéma et les séries TV américaines les représentent souvent à l'oeuvre, pour le meilleur et pour le pire.
L’agent le plus célèbre du FBI reste "l’incorruptible Eliott Ness", luttant contre Al Capone à Chicago dans les années 30. Suivi de près par J.Edgar Hoover, le premier directeur du "bureau" pendant 48 ans et sous huit présidents différents. C’est à sa mort, en 1972, que le mandat du directeur est fixé à 10 ans au maximum, ce qui reste toujours plus long que deux mandats d’un président.
Durant ces longues années à la tête du FBI, le terrible M.Hoover passait en effet pour l’homme le plus puissant des Etats-Unis, craint par tout le monde, y compris par les éphémères occupants du bureau oval de la Maison Blanche qui, même s’ils étaient conscients de son exorbitant pouvoir, n’osaient pas le limoger. Les présidents passaient, M.Hoover restait en place et faisait espionner tout le monde, à commencer par les politiciens qui avaient tous plus ou moins quelque chose à cacher. Hoover avait une prédilection pour les frasques sexuelles et harcelait particulièrement les homosexuels. Ironie de l’histoire, ce n’est qu’après sa mort qu’on découvrit sa propre homosexualité et sa longue liaison avec son adjoint Clyde Tolson !
Hoover détestait par dessus tout les militants pour les droits civiques. Martin Luther King Jr. fut sa bête noire (juste devant les Kennedy). Il est prouvé que le FBI chercha à le pousser au suicide en le menaçant de rendre public les enregistrements de ses ébats. Certains pensent même qu’il aurait joué un rôle dans l'assassinat du pasteur.
La mauvaise réputation du FBI n’a pas cessé avec la disparition de Hoover. Depuis le FBI a été, entre autres, accusé d’espionner des journalistes. Son professionnalisme a été sérieusement remis en question après qu’il s’est montré incapable de détecter, sur le sol américain, les préparatifs de l’équipe de terroristes du 11 septembre 2001. A la suite de ce ratage monumental, le bureau a d’ailleurs entièrement été restructuré pour s’occuper un peu plus des terroristes ou des agissements de "faux amis" comme la Russie que des soi-disant "ennemis de l’intérieur".
Déballage stérile
Pour revenir à cette élection, la question que tout le monde se pose reste l’impact qu’aura ce déballage ridicule et stérile. Selon Sam Wang, professeur à l’Université de Princeton et hôte régulier de CNN, il y a deux scénarios possibles et qui peuvent d’ailleurs se conjuguer : le "dégoût" des électeurs peut convaincre certains républicains tentés de voter pour Mme Clinton de "rentrer au bercail" et de voter finalement pour M.Trump, même en se pinçant le nez. Mais il peut aussi pousser des démocrates peu attirés par Mme Clinton et qui avaient prévu de s’abstenir à finalement aller voter pour elle et faire échec à un complot ourdi par le FBI - M. Comey bien que nommé par Barack Obama ne cache pas ses sympathies républicaines.
Pour Sam Wang, il est peu probable que l'affaire ait un retentissement massif sur l'élection à la Maison Blanche, mais elle pourrait empêcher Mme Clinton de jouir d'une majorité démocrate au Sénat car les duels sont serrés dans au moins cinq Etats dans lesquels à peine 2% séparent les candidats. Dans ce cas, elle se retrouverait affaiblie avant même de commencer à gouverner avec un congrès hostile qui continuerait à la harceler avec cette sale histoire d'emails.
Tout cela renvoie à la particularité du face-à-face : ni Donald Trump, ni Hillary Clinton ne soulèvent l’enthousiasme de leur propre famille politique et le ou la futur(e) élu(e) doit se préparer à un début de mandat compliqué.