Les salariés d'iTélé poursuivent leur grève, déclenchée par la mise à l'antenne de Jean-Marc Morandini, mis en examen pour corruption de mineur. Leurs requêtes : charte éthique et garantie d'indépendance vis-à-vis de Vincent Bolloré, PDG du groupe.
C’est une situation inédite pour une chaîne d’information. Pour le onzième jour consécutif, les salariés d’iTélé sont en grève. Ils ont voté jeudi matin massivement pour la poursuite de ce moment par 76,9 % des votants (90 voix favorables sur 117, 22 abstentions) jusqu'à vendredi matin.
Depuis le 17 octobre, la chaîne d'info du groupe Canal+ est paralysée par le plus long conflit depuis sa création en 1999. Celui-ci a été déclenché par l'arrivée à l'antenne de Jean-Marc Morandini, malgré sa mise en examen pour "corruption de mineur aggravée".
Depuis, son émission a été suspendue – pour le temps de la grève a proposé la direction –, mais comme l’explique à France 24, Peggy Bruguière, journaliste au service reportages d'iTélé, les grévistes ont aussi d’autres revendications. Ils demandent davantage de moyens pour relancer la chaîne ainsi qu'une charte éthique pour garantir leur indépendance vis-à-vis du PDG du groupe Canal+, Vincent Bolloré, l'industriel aux méthodes musclées.
France 24 : Les salariés d'iTélé ont voté jeudi matin la poursuite de leur grève pour un onzième jour consécutif. Où en sont les négociations ?
Peggy Bruguière : Des négociations ont repris hier. Comme depuis le début du mouvement, on parvient à avancer uniquement sur le volet social. On est passé par rapport à la semaine dernière, d’une clause de conscience un peu fumeuse, hors cadre légal, à une rupture conventionnelle. Mais sur nos revendications éditoriales et éthiques, c'est-à-dire la mise en retrait de Morandini de l’antenne, la nomination d’une direction de la rédaction qui soit distinct du directeur général de l’info [pour l'instant, c'est Serge Nedjar, fidèle de Bolloré, qui cumule les fonctions, NDLR], la signature d’une charte éthique et puis la définition d’un projet clair sur CNews [nom du nouveau projet éditorial, NDLR], nous n’avançons à rien. Nous sommes inquiets de ce projet, car nous ne savons pas très bien de quoi il sera fait. Nous entendons parler de l’arrivée de personnes comme les frères Bogdanov ou Éric Zemmour, mais la direction ne nous a rien confirmé ni infirmé. Nous avons finalement l’impression qu’ils ne veulent plus de nous, et qu’ils veulent nous mettre à la porte.
Depuis le début de ce mouvement de grève, on entend beaucoup parler de Jean-Marc Morandini, mais votre mouvement de grève va donc bien au-delà de son seul cas. Pour vous il s’agit de préserver votre métier de journaliste ?
Peggy Bruguière : L’arrivée de Morandini est un déclencheur. Il y a un malaise dans cette rédaction depuis un an, depuis que l’actionnaire majoritaire est Vincent Bolloré. Quand les quatre émissions Morandini Live ont été diffusées à l’antenne, nous avons été écœurés. C’est comme si on nous brûlait notre carte de presse. C’est honteux et triste. Morandini a fait intervenir une soi-disant correspondante aux États-Unis, mais qui était en fait à Londres. Sa tante qui était en chronique en plateau a aussi fait un point info sur le dispositif alerte enlèvement en reprenant mot pour mot le site Wikipédia. Sur le fond et la forme, c’est ni fait ni à faire. Morandini n’est pas journaliste, il n’a rien à faire sur une chaîne d’info. Nous ne voulons pas de ce genre d’information.
Ce n’est pas une chasse à l’homme. Morandini est mis en examen. Nous respectons la présomption d’innocence, mais en le mettant à l’antenne, la chaîne prend position, alors que nous voulons que la rédaction ait un principe de neutralité. C’est une affaire de mineurs, c’est grave. Cela touche tout le monde et en premier lieu nos téléspectateurs, qui d’ailleurs nous soutiennent dans notre combat.
Vous avez demandé une médiation auprès de la ministre de la Culture, Audrey Azoulay. Celle-ci vient annoncé aujourd’hui qu’une médiation sociale serait mise en place. Comment y réagissez-vous?
Peggy Bruguière : C’est une demande que nous avons faite au nom de la SDJ. S’il faut en arriver à une médiation publique pour régler le conflit, tant mieux. Nous considérons que c’est un débat qui dépasse nos simples murs et la rédaction d’iTélé. Notre mouvement incite tous les journalistes à se poser des questions. Ils se disent finalement ‘à qui le prochain tour ?’. Les politiques voient aussi qu’il y a un problème, mais ce n’est pas facile pour eux de se positionner sur cette question, parce que nous nous appartenons à un groupe qui investit beaucoup en France.
Comment voyez-vous la suite du mouvement ?
Peggy Bruguière : Nous sommes plus mobilisés que jamais. Nous sommes au onzième jour de grève, nous n’allons pas cacher que c’est difficile, car cela nous coûte cher. Nous avons d’ailleurs lancé une cagnotte publique. Les salaires de journalistes ne sont pas mirobolants. Ce n’est pas parce que nous passons à la télé, que nous avons un micro ou une caméra ou que nous travaillons dans un groupe comme Canal + que nous avons de gros salaires. Nous sommes entrés dans une phase critique, vu le nombre de personnes extérieures, que ce soit les confrères, les téléspectateurs, les personnalités publiques, qui nous soutiennent, nous n’allons pas lâcher le mouvement. Nous restons mobilisés coûte que coûte.