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Un conseiller de l’ONU qualifie le scandale du choléra en Haïti de "Watergate" onusien

Un rapporteur des Nations unies a qualifié mardi de "Watergate" le mensonge de l'ONU, qui a refusé de reconnaître sa responsabilité dans l’importation du choléra sur l’île en 2010. L’épidémie a tué plus de 9 000 Haïtiens.

"Watergate". Le mot est lâché par Philip Alston, professeur de droit à l’université de New York et rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme. Dans un rapport présenté à l’ONU, le conseiller a qualifié de "honte", mardi 25 octobre, le "déni explicite et complet" de l’organisation internationale quant à sa responsabilité dans la propagation du choléra en Haïti il y a six ans.

"La situation est très claire : l’ONU est responsable de l’importation du choléra en Haïti, mais la position officielle adoptée a été de dire : 'Nous ne sommes pas coupables'. C’est un scandale du niveau du Watergate de mon point de vue", a déclaré Philip Aston à France 24.

L’épidémie, qui sévit toujours en Haïti, est réapparue en 2010, pour la première fois depuis 100 ans, peu de temps après un terrible tremblement de terre qui a dévasté le pays, faisant des dizaines de milliers de morts.

Jusqu’ici l’ONU avait attribué l’expansion de l’infection sur l’île à une "combinaison de facteurs", alors que de nombreuses études scientifiques ont indiqué que la maladie avait été importée par une équipe de casques bleus népalais de la Minustah (Mission des Nations unies pour la stabilisation d'Haïti), qui en étaient porteurs. "Ils ont dissimulé cela depuis des années, mais toutes les preuves démontrent de façon indéniable que leurs arguments n’avaient pas de sens", explique Philip Alston.

D’après le rapporteur spécial, l’épidémie n’a été provoquée que par un seul ‘facteur’, "les excréments de ces casques bleus népalais, qui sont arrivés [en Haïti] avec le choléra, et qui ont été jetés dans une rivière".

Aucune excuse officielle

Les révélations sans détour de Philip Alston interviennent alors que l’ONU prévoit le déblocage d’une enveloppe de 400 millions de dollars (366 millions d’euros) pour aider les victimes de l’épidémie de choléra.

Le britannique David Nabarro, conseiller spécial de l’ONU pour le développement durable, en charge de négocier avec le gouvernement haïtien et les donateurs potentiels, a indiqué à France 24 que cette somme sera divisée en deux. La moitié servira à financer les traitements et les mesures visant à endiguer la propagation de l’épidémie, tandis que la seconde partie sera destinée à compenser les victimes et leurs familles.

L’importance du montant de l’enveloppe onusienne dépendra toutefois de la capacité à convaincre les donateurs sollicités de participer à l’aide financière. "L’ONU a la capacité de mettre en œuvre un plan d’action efficace, mais pour cela nous devons lever des fonds, car nous ne disposons pas d’assez de cet argent" a affirmé le Dr David Nabarro.

Mi-août, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, avait déjà franchi un pas en reconnaissant que l’ONU avait "une responsabilité morale vis-à-vis des victimes" et se devait "d'aider Haïti à surmonter l'épidémie et à construire des systèmes sanitaires et de santé solides".

Mais malgré ses efforts, l’organisation n’est pas allée jusqu’à s’excuser, ni admettre de responsabilité juridique dans le désastre provoqué par la propagation de l’infection. Au contraire, l’ONU a invoqué son droit à l’immunité dans le but de se prémunir d’éventuelles poursuites de la part des victimes haïtiennes qui demanderaient des compensations.

"Si les Nations unies refusent de prendre leurs responsabilités dans des cas de violations des droits de l'Homme, elles se discréditent auprès des gouvernements à qui elles demandent de faire de même" s’est indigné Philip Alston dans son rapport.

Pression des États-Unis

À en croire le rapporteur spécial, de piètres conseils juridiques ont été à l’origine des réticences exprimées par l’ONU pour assumer sa responsabilité dans cette affaire. Dans son rapport, il accuse le Bureau des affaires juridiques (OLA) d’avoir élaboré "un argument juridique clairement artificiel et totalement infondé pour éviter à l’organisation d’assumer sa responsabilité".

Pour Philip Alston, l’ONU n’aurait pas dû utiliser son droit à l’immunité pour se soustraire au litige. L’approche qui consiste à "abdiquer tout simplement devant ses responsabilités est moralement déraisonnable, indéfendable et politiquement contre-productive", a-t-il écrit dans son rapport. Il va jusqu’à suggérer que les États-Unis, plus gros financeurs des Nations unies, pourraient avoir fait pression sur l’organisation afin qu’elle adopte une telle position.

"Il est courant aux États-Unis de ne jamais endosser de responsabilité morale, mais de préférer systématiquement passer un accord négocié. Je pense que les États-Unis ont voulu calquer la même approche sur un dossier onusien, sauf que la situation est complètement différente", a tenté d’expliquer le rapporteur britannique.

Levée de fonds compromise

Toutefois, Philip Alston s’est réjoui des 400 millions de dollars d’aide annoncés par l’ONU. Mais il a insisté encore une fois, en appelant l’organisation à distribuer cet argent sur une "base légale", et non en faisant œuvre de "charité", ce qui serait une forme de reconnaissance des responsabilités de l’ONU.

Reste que cette levée de fonds n’est pas encore totalement garantie, David Nabarro ayant indiqué que les discussions des États membres ont été encourageantes quant au financement des mesures visant à stopper l’épidémie. "Nettement moins" lorsqu’il s’est agi de payer des compensations aux familles de victimes.

"Quand vous niez vos responsabilités, il est plus difficile de récolter de l’argent, de mobiliser les ressources, car cela devient un énième problème attribué au manque de développement", note Philip Alston. "Je pense que l’ONU a considérablement aggravé le problème en persistant dans le déni au fil des ans" conclut l’expert britannique.