Alors que la reprise de Mossoul par la coalition irakienne semble inéluctable, la question de l'après-EI se pose : notamment concernant le sort à réserver aux enfants nés en Syrie et en Irak de parents jihadistes, pour beaucoup, apatrides.
Cela prendra peut-être des semaines, peut-être des mois, mais c’est une quasi-certitude : Mossoul finira par tomber. La bataille pour la reprise de la deuxième ville irakienne a été lancée le 16 octobre et, déjà, la question de l'après-EI (groupe État islamique) se profile. Ou plutôt les questions. Que restera-t-il de Mossoul et de ses 1,5 million d’habitants ? Quel sort sera réservé aux jihadistes ? Qu'adviendra-t-il de leurs familles : leurs femmes et a fortiori leur enfants, qu'ils s'agissent de mineurs amenés sur les terres du "califat" par des parents venus de l'étranger ou ceux nés sur place ?
"La relève"
Appelés les "bébés du califat", ils sont nés ces dernières années dans les zones contrôlées par l'EI, en Syrie et en Irak. On ne sait pas combien ils sont : des centaines, des milliers peut-être. Mais on sait que depuis la proclamation du califat par l'EI en 2014, les jihadistes ont préparé l'avenir. Les dignitaires du groupe terroriste le savaient : pour devenir un véritable État, il fallait un peuple. Et pour cela, ils ont fait venir des femmes pour procréer et biberonner des bébés à l'idéologie jihadiste.
Une génération d'apatrides
Maintenant que la chute de l'EI est envisageable, du moins à Mossoul, que faire de ces enfants, enrôlés malgré eux ? Comment les prendre en charge si leurs parents sont tués au combat ? Que faire d'eux si leurs parents sont arrêtés ? "Les autorités irakiennes vont-elles mettre des bébés en prison avec leur mère ?", s'interroge Belkis Wille, chercheuse spécialiste de l'Irak et du Moyen-Orient pour HRW, interrogée par France 24.
Le casse-tête est d'autant plus compliqué que beaucoup des enfants nés sur place n'ont pas de nationalité. Sans papiers d'identité, ils ont été enregistrés par le groupe terroriste, mais cette déclaration n'a pas de valeur légale. "Selon les données récoltées auprès des ONG présentes en Irak, de nombreuses administrations irakiennes locales ont refusé d'enregistrer les enfants à la naissance sous prétexte que leurs parents étaient dans les rangs de l'EI", poursuit Belkis Wille. Ces enfants n'ont donc pas de papier, pas d'identité, pas d'existence juridique. "Qui va vouloir les prendre en charge ? Personne !", rationalise la chercheuse.
"Dans un premier temps, ce sont les autorités irakiennes qui vont devoir gérer ce problème et ce n'est clairement pas leur priorité", poursuit Belkis Wille. "Mais elles ont l'obligation légale d'enregistrer ces enfants, quelle que soit leur origine et indépendamment des activités de leur parents, et nous allons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour qu'ils le soient", assure-t-elle.
Un défi international
Le problème dépasse néanmoins largement l'Irak et ces enfants posent un défi à l'ensemble de la communauté internationale. De nombreux combattants étrangers, notamment européens, sont venus grossir les rangs de l'EI ces dernières années. Selon le commissaire européen pour la sécurité Julian King, l'EI compterait aujourd'hui en Irak et Syrie quelque 2 500 combattants européens. Les Français ne sont pas en reste : selon les derniers chiffres du ministère de l'Intérieur, ils sont 689 dans des zones tenues par l'EI, dont près de 275 femmes et 17 mineurs combattants. Au total, près de 150 familles se trouveraient sur leur territoire.
Conscient du problème, le ministère français de la Justice a émis en janvier 2016 une circulaire pour encadrer le retour de ces enfants, âgés de quelques semaines ou de trois ans. Mais au-delà du cadre légal, la question d'une prise en charge sociale et psychologique se pose aussi. "Les démocraties occidentales ont-elles les structures et les moyens pour les récupérer ? Va-t-on mettre tous les orphelins dans des foyers ? Et que faisons-nous des enfants qui ont commis des exactions ? Allons-nous créer des centres de radicalisation pour des enfants de 4 ans ?" s’interroge Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste des mouvements jihadistes. Autant de questions qui méritent d'être posées.