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Extradition de Gulen : comment les États-Unis peuvent-ils répondre à la demande turque ?

Après le coup d’État raté en Turquie, en juillet dernier, Ankara a mis en cause le prédicateur Fethullah Gülen, figure de l’opposition réfugiée aux États-Unis, et a demandé son extradition. Comment Washington va-t-il répondre à cette requête ?

Depuis le coup d’État avorté du 15 juillet, au cours duquel des militaires turcs putschistes ont bombardé le Parlement et pris le contrôle de certaines zones dans des villes de poids, le gouvernement turc, dirigé par Recep Tayyip Erdogan, a de manière répétée accusé Fethullah Gülen d’être derrière cette tentative de prise de pouvoir.

Les autorités turques font depuis pression sur les États-Unis pour l’extrader, insinuant que les liens étroits tissés entre les deux pays pourraient se distendre si Washington ne coopérait pas.

Plus tôt dans la semaine, la Turquie a rempli un dossier officiel de demande d’extradition, selon plusieurs médias.

Pour comprendre quelles étaient les options des États-Unis, France 24 a interviewé Amy Jeffress, associée du cabinet juridique Arnold & Porter. Cette spécialiste possède une expertise pointue dans les cas d’extradition, qu’elle a notamment forgée au sein du département de la Justice américain dont elle est un ancien cadre.

France 24 : Si la Turquie a bien fait une demande officielle d’extradition de Fethullah Gülen, quelle est la prochaine étape ?

Amy Jeffress : Si la Turquie a fait cette demande, alors elle sera préalablement examinée par le département d’État américain et le département de la Justice pour déterminer si elle est conforme au traité d’extradition conclu entre les deux pays. Si le département de la Justice estime que la demande est valide, alors il réclamera l’arrestation de l’individu concerné.

Le traité entre les États-Unis et la Turquie est conforme à la plupart des accords d’extradition : les exigences sont que la demande d’extradition s’appuie sur une infraction légalement recevable.

Il y a des clauses dans l’accord qui pourraient être invoquées par les États-Unis. Par exemple, il y a une exception spécifique dans le traité d’extradition, lorsque l’infraction constatée est de nature politique ou motivée par des convictions politiques.

Il existe également dans la plupart des traités d’extradition des clauses qui permettent de refuser l’extradition si celle-ci est contraire aux intérêts supérieurs du pays. Le risque d’un procès non-équitable pourrait ainsi être mis en avant.

S’il existe de vraies préoccupations en matière de droits de l’Homme, cela peut constituer un motif pour refuser une demande. Mais l’extradition est une obligation réciproque et il est très rare que les autorités américaines invoquent ce type de clauses.

Est-ce que le contexte politique peut jouer un rôle dans la décision du département de la Justice d’extrader ou non Gülen ? Le gouvernement américain peut-il intervenir pour changer cette décision ?

Les autorités américaines traitent l’extradition comme un sujet strictement soumis à l’application du droit et à la coopération internationale. Nous attendons des autres pays une coopération sur le plan de l’application de la loi et en matière d’extradition, et nos alliés attendent la même chose de nous.

Les autorités américaines s’efforcent, à mon avis, de laisser les questions politiques de côté dans ces dossiers, et veulent traiter ces demandes comme des questions de droit.

Le secrétariat d’État possède l’autorité ultime et peut intervenir. Mais il est très rare que ces décisions soient prises à un si haut niveau ; d’ordinaire, la décision est prise par les personnes qui travaillent habituellement sur ce genre de dossier, et il est très rare que leur décision soit remise en cause.

Si Gülen est arrêté, peut-il contester son extradition ?

Une personne arrêtée pour être extradée peut contester cette décision devant une cour de justice américaine. Il est très rare qu’une extradition soit refusée par une cour de justice mais cela peut arriver. Si j’étais l’avocat de Fethullah Gülen, je mettrais en avant le fait que cette demande turque est politique et qu’il ne devrait pas être extradé pour cette raison.

Il est également possible de soulever le problème des droits de l’Homme dans ce pays, ou encore de poser la question de l’équité de son procès. Mais il est important de noter qu’une personne qui fait face à une extradition n’a pas droit à un procès aux États-Unis ; dans le cas présent, un procès se tiendrait en Turquie.

Un traité d’extradition entre deux pays repose sur le postulat que chaque partie va autoriser une extradition parce qu’elle a confiance dans le système judicaire de l’autre pays.

Donc nous autorisons l’extradition vers la Turquie parce que nous avons décidé que leur système judiciaire était juste et nous espérons la même attitude de la part de ce pays lorsque nous demandons l’extradition d’un individu depuis la Turquie. C’est une obligation réciproque qui est prise très au sérieux aux États-Unis.