
Vainqueur de Rafael Nadal dimanche en huitièmes de finale de l’US Open, le Français Lucas Pouille affrontera, mardi en quarts, son compatriote Gaël Monfils. À 22 ans, ce jeune prodige incarne désormais la relève du tennis français.
Dire que l’on découvre Lucas Pouille après sa splendide victoire dimanche 4 septembre en huitièmes de finale de l’US Open, face à Rafael Nadal, relèverait du mensonge. D’une part, parce qu’il avait déjà atteint les quarts de finale d’un tournoi du Grand Chelem, en début d’été, sur le gazon roi de Wimbledon (il avait alors perdu en trois sets face à Tomas Berdych). Et surtout, parce que cela fait quelques années que le tennis français couve du regard ce natif de Grande-Synthe (Nord), désormais 25e mondial au classement ATP, à 22 ans.
Patrice Dominguez, joueur et commentateur sportif sur les antennes de France Télévision, décédé en 2015, l’avait déjà repéré, alors que Lucas Pouille était encore enfant. Il l’avait trouvé "rondelet mais très déterminé", avait-il témoigné quelques années plus tard. Ces rondeurs, Rafael Nadal les a cherchées sans les trouver, dimanche, quand le jeune français lui s’est lancé dans la bataille, ne concédant qu’un petit jeu lors du premier set avant que la partie ne s’équilibre (6-1, 2-6, 6-4, 3-6, 7-6).
Le garçon a bien grandi depuis ses années passées au club de Loon-Plage, tout près de Grande-Synthe. "On a tout de suite remarqué qu’il avait une aisance sur le court, qu’il était très doué, racontait en 2013 à la Voix du Nord son ancien entraîneur, Christophe Zoonekynd, désormais à la tête du club. Au fur et à mesure, il a rejoint les groupes de joueurs avec plus d’expérience et a toujours su progresser pour rattraper tout le monde."
Naissance d'un champion
De son club du Nord, il part ensuite vers Poitiers où il intègre le Creps (le Centre de ressources, d'expertise et de performance sportives), où il remporte le titre de champion de France 13-14 ans en 2008. Une victoire qu’il réitère en 2012 pour la tranche 17-18 ans, alors qu’il est formé à l’Insep (Institut national du sport, de l'expertise et de la performance).
"Il n’a pas changé depuis qu’il a intégré le top 30, témoigne auprès de France 24 Grégoire Barrère, qui a partagé la chambre du jeune prodige à l’Insep pendant deux ans. Il est resté à la fois simple avec nous et ambitieux, avec un objectif clair et la volonté de tout faire pour y arriver. C’est toujours le même Lucas."
Après l’Insep, Lucas Pouille poursuit son parcours sans faute au Centre national d’entrainement (CNE). "Il est arrivé au moment où j’ai été nommé Directeur technique national (DTN) adjoint, se souvient Éric Winogradsky, chargé du haut niveau masculin à la Fédération. Je lui ai demandé s’il voulait continuer en junior et il m’a répondu, définitif : 'Non, je veux me frotter aux seniors'."
C’est au CNE que Pouille bâtit l’équipe qui l’entoure aujourd’hui et l’a déjà mené deux fois en quarts de finale de tournois du Grand Chelem. Sa famille, inquiète des nombreuses blessures subies à l’adolescence ("opération au genou, fracture de fatigue au dos, blessures aux abdominaux", liste la Fédération française de tennis), exige un vrai dispositif de préparation physique, pour le protéger. "Un entraîneur de la Fédération a donc longtemps joué le rôle de préparateur physique, poursuit Éric Winogradsky. Et Lucas s’est donné les moyens de ses ambitions en travaillant avec un kiné malgré le coût que cela représente.
C’est aussi à ce moment-là que la FFT propose à Lucas de s’entraîner avec Emmanuel Planque, ancien coach de Michael Llodra notamment. "Quelqu’un de très consciencieux et exigeant, ce qui colle bien avec Lucas", juge Éric Winogradsky, interrogé par France 24. La preuve : Planque était encore dimanche sur le court central de Flushing Meadow, à New York, pour observer son poulain battre Nadal.
Les blessures ont longtemps empêché Lucas Pouille d’afficher une trajectoire aussi fulgurante que celle de Richard Gasquet (aujourd’hui n°15 mondial), mais la comparaison s’impose désormais. Tant pour l’espoir qu’il suscite que pour les craintes qui ne manquent pas de l’entourer. Gasquet, qui, encore junior, avait remporté le doublé Roland Garros-Wimbledon en 2002, a ensuite déçu, enchaînant les déconvenues, dont une suspension après un contrôle positif à la cocaïne début 2009, et peinant à intégrer le top 10. Si, à âge égal, Lucas Pouille n’affiche pas tout à fait le même palmarès que Richard Gasquet, selon un comparatif effectué par l’Équipe, il le rattrape lentement mais sûrement.
Remontada
Malgré son envolée tardive, Lucas Pouille est le premier à pouvoir prendre la relève la génération dorée des Mousquetaires (Richard Gasquet, Gilles Simon, Gaël Monfils et Jo-Wilfried Tsonga), tous trentenaires aujourd’hui. Gasquet en est d’ailleurs conscient. Après s’être incliné face à Lucas Pouille lors du tournoi de Montecarlo, en avril 2016, le Biterrois avait lâché : "Il [Lucas] sera un jour le numéro un français, c’est sûr. Je ne sais pas dans combien de temps mais il le sera." Nadal, moins dithyrambique mais tout de même impressionné après son match de dimanche, confirme : "Il a beaucoup de potentiel et s’il continue à progresser régulièrement, il a de belles opportunités devant lui."
Le calme de Lucas Pouille et sa puissance, lui ont permis de se défaire d’un Rafael Nadal certes déclinant mais qui n’a pas fini une saison hors du top 5 depuis 2005. "Mentalement, c’est costaud, commentait en juillet dernier dans les colonnes de Libération Arnaud Di Pasquale, le directeur technique national, après la qualification du jeune français pour les quarts de Wimbledon. Et puis quelle frappe de balle ! Sur le circuit, je trouve qu’il y en a peu qui soit aussi lourde des deux côtés. Quand il rentre dedans et qu’il avance, il n’y en a pas beaucoup capables de rivaliser."
"Lucas est capable de battre n’importe qui, confirme son ami Grégoire Barrère. Physiquement, c’est une machine [il avait déjà joué deux matchs en cinq sets à l’US Open avant d’affronter Nadal, NDLR] et son mental est solide : avant d’aller sur le court, il disait qu’il avait envie de le jouer. Il ne reculait pas. Il aime les challenges."
Et cela tombe bien car un nouveau défi l’attend, incarné par son compatriote Gaël Monfils (n°12), qu’il affrontera mardi 6 septembre à 15 h (21 h heure française). "Les deux sortent d’une saison de dingue mais lors de leur dernier match, Lucas n’avait perdu qu’au 5e set, rappelle Grégoire Barrère. Cette fois, encore plus que la dernière fois, il y aura match".