
Le président iranien modéré Hassan Rohani a du mal à se faire entendre des ultraconservateurs iraniens, après l’annulation d’une série de concerts à la suite des pressions de la frange religieuse la plus radicale du pays.
L’euphorie aura été de courte durée en Iran. La République islamique avait connu, depuis plusieurs mois, une légère libération culturelle avec la recrudescence de concerts autorisés – auparavant restreints – notamment de groupes très prisés par la jeunesse. Mais sous la pression de religieux ultraconservateurs, plusieurs représentations musicales en public ont été interdites ces dernières semaines dans des villes de province iraniennes, dont la ville sainte de Mashhad, sans que le président modéré Hassan Rohani ne parvienne à s’opposer à cette série d’interdiction.
Faisant part de leur vive inquiétude, quelque 5 000 musiciens iraniens ont adressé une lettre ouverte au président Rohani, a rapporté le 27 août le quotidien réformateur Etemad. L'interdiction des concerts à Mashhad est "une catastrophe qui sacrifie aujourd'hui la musique, puis demain le reste de la culture", ont écrit les signataires.
Jeudi, c’est à Yazd cette fois, dans le sud du pays, que des contestataires ont essayé d'empêcher la tenue du concert d'un célèbre chanteur traditionnel, Shahram Nazeri, et de son fils Hafez Nazeri. "Un groupe de croyants a tenté d'empêcher le concert mais Shahram et Hafez Nazeri ont décidé de le maintenir", a indiqué la responsable de presse des chanteurs. Mais elle a expliqué que des chants religieux avaient été diffusés pendant toute la durée du concert via les hauts parleurs à l'extérieur de la salle, dans une apparente tentative de saboter l'évènement.
La dernière restriction en date, samedi 27 août, a touché à son tour la capitale iranienne, où le procureur général à Téhéran a dicté des conditions plus strictes pour l'organisation de concerts, en recommandant notamment que la police vienne filmer les évènements.
Le ministère de la Culture fait la sourde oreille
Face à la polémique suscitée dans le pays, le président modéré Hassan Rouhani avait rappelé à l’ordre lundi 22 août le ministère de la Culture et de la Guidance islamique, organe chargé de livrer les autorisations de concerts, l’accusant de "reculer" devant "les pressions". "La République islamique est un État de droit (...) Si on ne respecte pas la loi, c'est le chaos", avait-t-il répété en vain. D'après une circulaire émise par son gouvernement, il revient uniquement au ministère de la Culture de délivrer toute autorisation de concert, la police ou la justice ne peut intervenir qu'en ce qui concerne les problèmes "d'embouteillage" aux alentours de la salle de concert.
"Le ministre iranien de la Culture et de la Guidance islamique, Ali Jannati, choisi directement par le Guide suprême et non le président iranien, est connu en Iran pour sa propension à se plier bien trop facilement aux exigences du milieu clérical conservateur, auquel il est rattaché par des liens familiaux proches" explique à France 24 Azadeh Kian, professeure en Sociologie politique à l'Université Paris-Diderot, spécialiste de l'Iran. "Si Rohani avait les mains libres, il aurait choisi quelqu’un d’autre à ce poste", estime la chercheuse.
Et justement, dans la ville sainte de Mashhad, où se trouve le mausolée sacré de l'imam Reza (huitième successeur du prophète selon les musulmans chiites), le ministre de la Culture, alors qu'il avait donné l'autorisation pour plusieurs concerts début août, a préféré faire machine arrière, après s'être attiré les foudres de religieux locaux. "Mashhad est une ville religieuse (...) Tout le monde doit savoir que les croyants ne la laisseront pas devenir un centre de débauche", avait prévenu l'ayatollah Ahmad Alam-ol-Hoda, l'imam de la prière de la ville, qui a donc été écouté.
Rohani face à ses électeurs
À huit mois de l’élection présidentielle iranienne, les attaques des conservateurs religieux contre le milieu musical placent désormais le président iranien, probable candidat à sa succession en avril 2017, dans une position délicate vis-à-vis de ses électeurs. Les artistes, les intellectuels et les jeunes qui ont soutenu Hassan Rohani pendant sa campagne lui demandent maintenant de respecter ses promesses électorales pour une plus grande liberté sociale et culturelle.
Dans sa quête d'une levée des sanctions sur le nucléaire iranien, pour ne pas se mettre à dos les ultraconservateurs, hostiles à un rapprochement avec l'Occident, le président iranien a évité de créer des polémiques autour de la liberté d'expression artistique. "Hassan Rohani n’a pas su dès le départ résister à cette offensive des conservateurs" explique Azadeh Kian. "Il a consacré son premier mandat à la levée des sanctions internationales et l’amélioration de la situation économique, mais il n’a pas été attentif aux revendications culturelles d’une partie de la société iranienne" indique-t-elle.
Avec AFP