
Dans le cadre d’un vaste projet solidaire et alternatif, un camping a vu le jour, à Paris, dans l'enceinte de l'ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul, dans le 14e. Une façon de vivre la ville différemment, mais pas seulement. Reportage.
Des rangées de tentes bleues à l’ombre des arbres et, au loin, la tour Montparnasse : le camping des Grands Voisins, seul camping intra-muros de Paris, a vu le jour en juin dans l’enceinte de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul, avenue Denfert-Rochereau, dans le 14e arrondissement. "C’est vraiment cool ici", s’enthousiasment Naomi, Charlotte et Emily, trois étudiantes anglaises, installées sur la terrasse de leur cabanon sur pilotis, en cette matinée du samedi 13 août. Arrivées la veille, les jeunes femmes ont réservé par Airbnb, pour 64 euros la nuit. Un tarif inespéré pour loger en plein cœur de la capitale. Entre les installations artistiques en bois coloré, la ressourcerie et le potager partagé, le lieu propose une expérience atypique de la ville.
Mais le camping s’inscrit aussi dans un projet de solidarité plus vaste baptisé lui aussi "Les Grands Voisins" et lancé fin 2015 : les plus de trois hectares de l’hôpital désaffecté sont ainsi occupés et gérés par trois associations, avec l’aval de la Ville de Paris. Six cents résidents vivent sur place logés par l’association Aurore, spécialisée dans l’hébergement social et d’urgence, la première des trois associations à avoir investi les lieux en 2012. L’association Plateau-Urbain met, pour sa part, les locaux à disposition de plus de 130 structures – des associations, des artisans, des artistes... Quant à Yes We Camp, elle a pour mission d’ouvrir le lieu au public et de créer du lien social entre tout ce petit monde. D’où l’idée de ce camping unique en son genre.
"Un petit village"
Ce samedi-là, à 9 heures du matin, alors que le ballet des allers et venues à la douche commence, Victor, Maura et Justine, la petite vingtaine, prennent ensemble leur petit déjeuner au soleil. Chacun a dormi dans un hamac, pour 8 euros la nuit. C’est l’option la moins chère proposée par le camping. Mais Victor est ici en tant que bénévole : "Je leur rends service et on s’arrange", explique-t-il. Ce qui l’a amené ici ? "J’ai entendu parler du lieu en Bretagne, dans le milieu associatif, et j’étais curieux". Depuis son arrivée, il a déjà participé à un atelier de confection de chaises et doit maintenant aider à fixer un sol en caoutchouc sur une aire de jeux destinée aux enfants. Il se dit séduit par "la créativité des gens" rencontrés ici et "la mixité de populations". Comme les résidents peuvent aider au camping, tout le monde est en effet amené à se rencontrer. "Pour moi, c’est un cas d’école d’ouvrir un lieu comme ça dans une grande ville", précise-t-il.
Casquette sur la tête, Maura, qui est Italien, est ici pour faire "une pause" dans son tour d’Europe à vélo. Il est ici en tant que HelpX : logé et nourri, il va, en échange, faire des travaux de peinture pendant une dizaine de jours. "En Espagne, en tant que HelpX, je devais promener des chiens. Là, c’est plus intéressant", explique t-il. Justine, qui préfère se faire appeler "Jus" – "comme du jus fruits" – connaissait déjà l’endroit : un ami le lui avait fait découvrir en juin, à l’occasion d’un festival et elle s’était promis de revenir. Elle qui a baroudé, et qui habite "partout et nulle part" en ce moment, se dit surprise par le degré d’organisation des Grands Voisins, "rare pour des Français", selon elle. L’expérience n’est pas sans lui rappeler Christiania, ce quartier autogéré de Copenhague fondé dans les années 70. En moins dévoyé : "Ici c’est vraiment un petit village, un microcosme", analyse-t-elle.
À l’accueil du camping, Maïa confirme l’impression générale : "Il y a pas mal de jeunes parmi les campeurs". Plus inattendu, entre les backpackers et les touristes, le camping accueille aussi… des Parisiens : "Ils veulent se dépayser le temps d’un week-end. On a aussi eu une famille qui est venue fêter un anniversaire en séjournant ici". Les campeurs restent en moyenne entre un et cinq jours, "comme dans un camping classique finalement". Pour essayer de sensibiliser les nouveaux venus au projet des Grands Voisins, une soirée est organisée chaque jeudi pour accueillir les nouveaux campeurs. Une occasion festive destinée à faciliter les liens avec les résidents.
"Un modèle qui fonctionne"
Et sur le plan économique ? "C’est un modèle qui fonctionne", se félicite Elena chargée de la communication Yes We Camp. "Avant l’appel à projet de la Mairie de Paris, le site vide coûtait un million d’euros par an et les bâtiments inoccupés généraient de l’insécurité. Occupé, le site coûte 1,6 million d’euros mais les associations participent au budget", explique-t-elle. Mais bénévoles et résidents le savent : l’occupation de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul est temporaire. L’autorisation de la Ville de Paris pour occuper le site ne court que jusqu’à mi-2017. Et ensuite ? Un éco-quartier doit voir le jour. Mais le projet Les Grands Voisins devrait laisser son empreinte : "La Ville décidera de ce qui a fonctionné aux Grands Voisins et s’en inspirera", veut croire Elena.