Le président turc a mobilisé des centaines de milliers de personnes, qui ont participé, dimanche, à une manifestation "pour la démocratie". Trois semaines après le putsch manqué, Recep Tayyip Erdogan a voulu afficher l'image d'un pays uni.
Ils étaient des centaines de milliers, voire trois millions, selon les journaux progouvernementaux. Les Turcs sont venus en masse à Istanbul, dimanche 7 août, à l'appel de leur président Recep Tayyip Erdogan, qui les a appelés à se retrouver "pour la démocratie". Un rassemblement géant comme un point d'orgue à trois semaines de mobilisation dans les rues après le coup d'État manqué mi-juillet, et une démonstration de force pour le chef de l'État, qui a pu afficher le peuple et l'opposition unis derrière lui.
Sur la grande esplanade de Yenikapi, au bord de la mer de Marmara, c'est la plus grande manifestation depuis des années en Turquie qui s'est tenue dimanche. Y étaient conviés non seulement les grandes figures du parti AKP au pouvoir, mais aussi la principale formation d'opposition, le CHP social démocrate (Parti républicain du peuple), et le MHP de droite (Parti de l'action nationaliste). Le parti prokurde HDP, en revanche, n'avait pas été invité.
La question de la peine de mort
S'exprimant devant une marée de drapeaux rouges, le président Erdogan est revenu sur un possible rétablissement de la peine de mort dans le pays. "Si le peuple veut la peine de mort, les partis suivront sa volonté", a-t-il déclaré. "Apparemment, il n'y a pas la peine capitale en Europe, mais ils l'ont aux États-Unis, au Japon, en Chine. La plupart des pays l'appliquent", a-t-il assuré, bien que, selon Amnesty International, 140 pays au monde sont abolitionnistes, en droit ou en pratique.
Cette question est épineuse au vu des ambitions européennes d'Ankara. "On sait que cela constitue une ligne rouge pour l'Union européenne et que ça signifierait la fin des négociations d'adhésion de la Turquie à l'UE", analyse la correspondante de France 24 en Turquie, Fatma Kizilboga.
Au-delà du sort qui sera réservé aux "traîtres" et autres partisans du prédicateur Fethullah Gülen, accusé d'avoir fomenté la tentative de coup d'État, qui a fait plus de 230 morts, la manifestation géante visait à présenter un Erdogan "au-dessus des partis", ayant le soutien appuyé de l'opposition.
Prenant d'abord la parole, Devlet Bahceli, leader du parti nationaliste MHP, a rendu hommage aux Turcs avec lyrisme : "Contre les balles, vous avez marché comme si c'était un jardin de roses". "Il n'y a aucune autre option que de se débarrasser de Feto [réseau de Gülen, NDLR] dans la société parce qu'il s'y est niché comme un cancer", a-t-il lancé, reprenant la rhétorique d'Ankara et approuvant ainsi implicitement la traque massive en cours des "gülénistes".
"Nous allons vivre comme des frères et sœurs", a déclaré ensuite le chef du CHP social-démocrate, Kemal Kilicdaroglu, saluant cette "journée importante pour la démocratie turque". "Cette organisation terroriste a prospéré au sein de l'armée et partout dans l'État", a-t-il assuré, reprenant l'antienne officielle, tout en demandant un "renforcement de la démocratie et du système parlementaire".
C'est ainsi pour Erdogan "un moyen d'afficher une forme d'unité nationale", explique Fatma Kizilboga, qui nuance cependant : "L'absence du HDP, troisième parti représenté au Parlement, laisse penser qu'en terme d'unité nationale, la Turquie a encore beaucoup d'efforts à faire".
De nouvelles purges attendues
Le président Erdogan a également évoqué la poursuite de la "restructuration de l'État". "On s'attend donc à de nouvelles purges dans les prochains jours", selon Fatma Kizilboga.
En réponse à la tentative de putsch, le pouvoir a pris des mesures drastiques dans plusieurs secteurs des institutions du pays. Des milliers de militaires, dont 40 % de généraux, ont été démis de leurs fonctions. Au total, plus de 60 000 militaires, magistrats, fonctionnaires ou enseignants ont été interpellés, suspendus ou font l'objet d'enquêtes judiciaires.
Quant au peuple stambouliote, il n'a pas fait défaut à son président, et ancien maire, dont Istanbul reste le fief politique. Tous les transports (métro, bus ou ferry) étaient gratuits pour encourager l'affluence des Stambouliotes. "Nous sommes là pour notre pays, pour le protéger, nous ne laisserons pas notre pays aux mains de voyous", a déclaré Ramazan, un manifestant, répercutant le message officiel d'unité.
Un autre manifestant, Huseyin Albayrak, allait plus loin : "Nous sommes prêts à mourir pour notre président Erdogan. Nous sommes là depuis ce matin et s'il nous demande de rester là jusqu'à demain, nous resterons. Nous ne livrerons jamais notre pays à personne".
Le rassemblement d'Istanbul devait être retransmis par écran géant dans toutes les provinces turques… ainsi qu’en Pennsylvanie. C’est dans cet État du nord-est des États-Unis que vit Fethullah Gülen.
Avec AFP et Reuters