
La plateforme Action emploi réfugiés a été lancée fin juin pour donner "un coup de pouce" aux réfugiés à la recherche d’un travail en France, en misant sur leurs compétences professionnelles. Reportage.
"La vie est belle". À la terrasse d’un café, place de la République, à Paris, Husnia, 29 ans, et Ali, 25 ans, parlent avec enthousiasme de leur journée de travail. Cela n’a l’air de rien mais c’est nouveau pour eux : elle est Afghane, lui est Syrien, tous deux sont réfugiés et c’est leur premier emploi salarié depuis qu’ils sont arrivés en France (fin 2013 pour elle, en septembre 2015 pour lui). Ce CDD de quatre mois décroché début juillet dans une association de lutte contre l’exclusion, ils le voient comme "une clé". Un cap franchi avec l’aide d’Action emploi réfugiés. Après avoir créé un groupe Facebook, l’association a lancé fin juin une plateforme destinée à mettre en relation les réfugiés à la recherche d’un emploi et les employeurs prêts à recruter un réfugié.
"Cette plateforme vise à favoriser des opportunités. Le réfugié qui poste son CV accède ainsi à des offres d’emplois. C’est un coup de pouce, on n’intervient pas davantage", explique Diane Binder, la cofondatrice d’Action emploi réfugiés. Après avoir postulé à une offre d’"intervenant social", Husnia et Ali ont, de fait, passé chacun "un long entretien". Les postes auxquels ils prétendaient étant en lien avec la crise des réfugiés, leur parcours s’est révélé être un atout : "Je parle arabe, français et anglais. Et puis j’ai été demandeur d’asile, je suis passé par la situation des gens que je dois accompagner. Je connais la procédure", explique Ali. En Afghanistan, Husnia était professeure de droit international et européen et dès son arrivée en France, elle a fait du bénévolat, comme interprète notamment, dans différentes ONG. Pour elle, ce CDD d'intervenant social est donc complètement cohérent avec son parcours : "J'ai travaillé dans l'humanitaire et j'ai été demandeuse d'asile, les démarches administratives, je les connais", raconte-t-elle.
Depuis la création, début 2016, du groupe Facebook Action emploi réfugiés qui a précédé la plateforme, 80 emplois ont été pourvus. Des contrats de tout type, de l’intérim au CDI, essentiellement dans le secteur des services à la personne : la restauration, l’hôtellerie, l’artisanat, la construction. Sans surprise, rares sont les réfugiés qui trouvent un emploi à la hauteur de leurs qualifications et de leurs compétences dans leur pays d’origine. "Les deux principaux obstacles pour les réfugiés en France sont la langue et l’équivalence de leur diplômes", explique Diane Binder. "Tous ont conscience de ces difficultés mais le simple fait de travailler leur permet de mettre un pied à l’étrier. Beaucoup ont l’idée de reconstruire leur parcours plus tard", précise-t-elle. En Syrie, Ali a obtenu un diplôme en chirurgie dentaire. Arrivé en France, il a bien essayé de postuler à des offres d’assistant dentaire mais "c’est très difficile d’avoir un entretien". Son nouveau travail d’intervenant social représente néanmoins pour lui plus qu’un travail alimentaire : il se sent utile. Il se sent aussi plus chanceux que cet ami, Syrien lui aussi, pharmacien de formation, qui a trouvé un petit boulot dans la restauration. Et puis il y a tous ceux qui ne trouvent pas de travail du tout. "Beaucoup de refugiés ont des compétences, du savoir faire, mais c’est difficile pour un employeur de recruter quelqu’un qui n’a jamais travaillé en France", analyse-t-il. À terme, Ali souhaiterait travailler dans le domaine médical mais il sait que cela prendra du temps. "Je suis nouveau ici. Il faut voir comment la société française fonctionne", annonce-t-il, philosophe.
Des employeurs à la recherche de compétences avant tout
"Pour les employeurs, ce n’est pas qu’un geste de solidarité, ils sont avant tout à la recherche de compétences", précise Diane Binder. Qui sont ces employeurs ? Des particuliers, des PME, des grandes entreprises… Paul, qui dirige une agence de communication à Paris, a engagé un réfugié syrien pour des gros travaux de peinture dans les nouveaux locaux de son entreprise : "On avait besoin d’un professionnel pour une dizaine de jours. Je me suis dit que c’était le bon compromis pour faire un essai. On avait bien spécifié les compétences requises et la personne que l’on a recrutée connaissait parfaitement son métier", témoigne t-il. Au-delà du besoin de faire ces travaux, Paul ne cache pas qu’employer un réfugié était une façon pour lui de "faire quelque chose". "À partir du moment où l’on accueille ces gens en France, c’est normal de chercher à les intégrer".
L’intégration par le travail, la cofondatrice d’Action emploi réfugiés y croit dur comme fer : "Avoir un emploi permet aux réfugiés de mieux maîtriser le française et de se familiariser avec les codes culturels". La démarche de l’association se veut toutefois pragmatique et sans naïveté : "On ne s’adresse qu’aux réfugiés qui ont le droit de travailler, c'est-à-dire ceux qui ont déjà le statut de réfugié ou ceux qui sont demandeur d’asile depuis plus de 9 mois". Malgré tout, favoriser l’emploi des réfugiés dans le contexte économique actuel suscite la réticence de certains. Mais pour Diane Binder, avec 5 000 à 7 000 refugiés qui obtiennent le droit de travailler chaque année pour 330 000 offres d’emploi non pourvues en France selon le Medef, "les chiffres parlent d’eux-mêmes". Et la co-fondatrice d’Action emploi réfugiés d’ajouter : "Une fois qu’ils ont le droit de travailler, les réfugiés ont les mêmes droits que les autres citoyens… et ils ont besoin d’un coup de pouce supplémentaire".