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Peut-on se passer du financement étranger des mosquées comme le souhaiterait Valls ?

Pour endiguer le phénomène des radicalisations islamistes en France, Manuel Valls a évoqué l’interdiction du financement étranger des moquées. La mesure ne convainc pas Nathalie Goulet, sénatrice et auteur d'un rapport sur la question.

Couper temporairement tous les liens entre les pays étrangers et le financement des mosquées. Le Premier ministre Manuel Valls entend ainsi couper court aux radicalisations sur le territoire français. Dans un entretien au quotidien Le Monde paru vendredi 29 juillet, trois jours après l'assassinat d'un prêtre par deux jihadistes dans son église à Saint-Étienne-du-Rouvray, le chef du gouvernement a dit vouloir "inventer une nouvelle relation avec l'islam de France". "Je souhaite notamment que les imams soient formés en France et pas ailleurs", a précisé Manuel Valls. "Je suis favorable à ce que, pour une période à déterminer, il ne puisse plus y avoir de financement de l'étranger pour la construction des mosquées", a-t-il ajouté.

Ce n’est pas la première fois que ces questions reviennent sur le devant de la scène, notamment ces derniers mois, portées par la recrudescence des attentats jihadistes perpétrés par des ressortissants français. Ce projet semble toutefois difficilement envisageable au vu des contraintes qu’impose la loi de séparation des Églises et de l’État. Pis, il serait sans efficacité directe sur la radicalisation qui se fait souvent, selon des spécialistes, sur internet, donc en marge des mosquées.

Un rapport réalisé par une commission d’enquête sénatoriale, paru début juillet, se penche justement sur l’organisation et le financement de l’islam en France. Pour l’une de ses auteurs, Nathalie Goulet, sénatrice UDI de l’Orne, les déclarations du chef du gouvernement sont "une double imposture ". "Ces propos partent du postulat que la radicalisation vient des mosquées, ce qui n'est pas vrai. Quant au financement de l'étranger, il n'est pas majoritaire mais important : or comment faire sans ? Est-ce le contribuable qui va s'y substituer ? Ce serait une violation de la laïcité", estime la parlementaire, citée par l’AFP.

Son rapport, intitulé "De l’islam en France à l’islam de France : établir la transparence et lever les ambigüités", s’est attaché à décrypter la place de la religion musulmane en France et à contrer les idées reçues. On y apprend ainsi que le financement de la construction et de l'entretien des mosquées est assuré majoritairement par la communauté elle-même, grâce aux dons des fidèles. Mais la participation des fidèles ne peut pas suffire, notamment dans des lieux où la population est plus défavorisée que d’autres et ne peut faire de dons importants. C’est là que les communautés ont recours à des mécènes étrangers. Les subventions des principaux États s'élèvent à quelques millions d'euros par an : le Maroc finance des mosquées à hauteur de six millions d'euros, somme qui inclut le salaire de ses imams, l'Algérie donne deux millions d'euros à la Grande Mosquée de Paris, et l'Arabie saoudite, depuis 2011, a versé un peu moins de quatre millions d'euros. La Turquie, elle, finance indirectement ses cadres religieux. Mais gare aux raccourcis : "Ce n'est pas l'Arabie saoudite", avec son idéologie wahabbite rigoriste, "qui gouverne l'islam de France. Ce sont les pays d'origine [des fidèles] qui priment", principalement l'Algérie, le Maroc et la Turquie", souligne Nathalie Goulet interrogée par France 24 au moment de la sortie du rapport.

Interdire les financements étrangers ? "Absurde et impossible"

À ceux qui parlent d’interdire les financements étrangers, Nathalie Goulet répond donc qu'il s'agirait d'une mesure "absurde et impossible". "L’État ne peut pas financer la construction de mosquées en raison de la loi de 1905 et les fidèles ne peuvent pas le faire seuls", rappelle-t-elle. Et de résumer la situation : "D’une main, on veut organiser l’islam en France pour avoir plus de contrôle, de l’autre on ne peut y toucher à cause de la loi. C’est une équation insoluble."

Selon la sénatrice, le problème ne vient pas du fait que l’argent vienne de l’extérieur. Elle rappelle au passage que la communauté musulmane n’est pas la seule en France à bénéficier de financements étrangers, citant l’exemple d’une cathédrale orthodoxe qui doit être inaugurée à Paris à l’automne et dont la construction est financée par des pays étrangers, notamment par la Russie. "L’idée n’est pas d’interdire les financements étrangers mais de les rendre transparents et non conditionnés à la transmission d’un quelconque message", explique-t-elle. Pour ce faire, le rapport propose de relancer la "fondation des œuvres de l'islam", une instance censée recueillir des fonds qui existe mais ne fonctionne pas actuellement, parce que les instances représentatives de l’islam sont en désaccord sur la question de sa gouvernance.

Conscientes des limites qu’impose la loi de 1905, certaines personnalités politiques ou religieuses suggèrent plusieurs mesures pour s’affranchir des mécènes étrangers. La députée Les Républicains Nathalie Kosciusko-Morizet, suggère par exemple une redevance sur la filière halal, un marché estimé à plus de 5 milliards d'euros. Mais selon le rapport Goulet, une telle mesure ne peut pas être imposée par l'État et n'est "envisageable que si elle est mise en place par les représentants du culte eux-mêmes, comme une redevance privée pour services rendus".

Quant à l’idée de former des imams uniquement en France, qui figure comme préconisation dans le rapport sénatorial, elle apparaît difficilement réalisable dans l’état actuel des choses. Il existe aujourd’hui deux établissements prévus à cette fin : l’institut Ghazali et l’école de Château-Chinon. "Mais la formation proposée en France aujourd’hui n’est pas unifiée ni développée", déplorait en juillet Nathalie Goulet. Pour pallier ce vide, la France fait appel à des imams détachés par des pays étrangers. Ils sont environ 300 sur les quelque 1 800 imams exerçant en France et viennent de Turquie, du Maroc et d’Algérie. Cette pratique illustre, selon les rapporteurs, la situation ambiguë dans laquelle se trouve l’État, partagé entre la nécessité de limiter l'influence des pays d'origine et, dans le même temps, de passer des accords avec certains d’entre eux à propos de ces "détachements".
 

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